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Droits des femmes: le hijab n’est pas un vêtement comme les autres

La nuit des droits des femmes


Droits des femmes: le hijab n’est pas un vêtement comme les autres
Défilé de mode à Téhéran, 2012. SIPA. 00646206_000001

Une vive altercation a opposé Bernard de la Villardière à Rokhaya Diallo au sujet du port du hijab le 26 février sur le plateau de Touche pas à mon poste (TPMP). Sans vouloir donner à cette séquence plus d’importance qu’elle n’en a, il me semble utile d’y revenir. Elle est, hélas, représentative de tensions qui parcourent notre société, et plus encore d’un certain nombre d’approximations récurrentes, dont on peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure elles sont des erreurs sincères, ou des mensonges calculés.

Commençons par évacuer le déplorable tweet de Nadine Morano, traitant Rokhaya Diallo de « Française de papier ». C’est très désagréablement teinté de racisme, et complètement idiot. Rappelons simplement que des Français « de vieille souche » partagent les convictions de Mme Diallo alors que des Français d’origine étrangère, et d’ailleurs aussi des étrangers, les combattent. Il y a même ici une ironie involontaire, puisqu’en assimilant implicitement – et évidemment à tort – les convictions des individus à leurs origines, Nadine Morano va exactement dans le sens du communautarisme et du racialisme que défend Rokhaya Diallo !

Venez comme vous êtes (ou presque)

Mais revenons au hijab. Cyril Hanouna avait déclaré : « Ici, que ce soit des personnes voilées, qui portent une kippa, qui soit petites, grosses, handicapées, qui soient noires… Nous on est juste là pour se marrer et on accueille tout le monde. » Belle ouverture d’esprit en apparence mais, si on se donne la peine d’aller au-delà, cette phrase a priori sympathique devient assez inquiétante.

Lorsqu’il est librement consenti, ce qui n’est de loin pas toujours le cas y compris en France, le port du hijab est par définition un choix. Il peut être le respect d’une coutume, et c’est généralement le cas pour les femmes qui le portaient avant qu’il devienne un sujet polémique et un étendard. Il peut être aussi, et il l’est de plus en plus, un acte revendicatif, l’affichage militant d’une appartenance et de l’adhésion à un corpus de croyances et de principes. C’est toute la différence entre le voile porté par exemple par Latifa Ibn Ziaten – la mère d’une des victimes de Mohamed Merah -, et le voile porté par une jeune femme de vingt ou trente ans née et élevée en Occident.

A l’inverse, la taille, le handicap et la couleur de peau ne sont ni des choix ni des marques d’adhésion à quoi que ce soit, ni même à je ne sais quelle « minorité » abusivement présentée comme homogène par ceux qui voudraient l’instrumentaliser. Le fait d’être « gros », « maigre », « svelte », etc. en ayant conscience que le sens précis de ces termes varie selon les époques et les cultures, peut être influencé par des prédispositions biologiques mais, sauf exception, dépend aussi du mode de vie. C’est donc, sinon un choix, du moins dans une certaine mesure la conséquence de choix, et dès lors on ne peut pas le mettre sur le même plan que l’origine ethnique. Mais être ou ne pas être « gros » n’est évidemment pas non plus similaire à un choix religieux ou politique, et encore moins à la décision d’afficher publiquement un tel choix.

Rokhaya Diallo, fidèle à elle-même

Reste la kippa. Là, et là seulement, le propos de Cyril Hanouna n’est pas absurde. Il aurait aussi pu parler d’un crucifix ou d’un tatouage de l’oeil de Shiva, même si on verra plus loin que le port du hijab n’est pas non plus totalement équivalent aux autres marques d’appartenance religieuse évoquées, du moins de nos jours.

Les propos de Rokhaya Diallo, sur le plateau de Cyril Hanouna, sont conformes à ses déclarations précédentes sur le même thème. Elle évoque plusieurs arguments : 1. les femmes qui portent le hijab ont bien le droit de s’habiller comme elles veulent 2. de quel droit un homme, en l’occurrence Bernard de la Villardière, se permet-il de parler au nom des femmes ? « Vous avez du mal aussi à laisser parler les femmes. Ici, dans le public, il y a des femmes qui sont voilées et je trouve que vous leur faites offense en prétendant savoir mieux qu’elles comment elles doivent s’habiller », dit Rokhaya Diallo, et 3. nous sommes en France, ne nous parlez pas de ce qui se passe ailleurs.

A tout cela, nous pouvons répondre :

1. Le hijab n’est pas un vêtement comme un autre

Le hijab n’est pas un vêtement comme un autre. Ce constat n’est pas en lui-même une critique ! Un t-shirt « Lisez Causeur » ou « Votez Aurélien Marq » ne serait pas non plus un simple vêtement, et loin de moi l’idée de les interdire – en toute humilité. Néanmoins, répondre aux éventuelles remarques qu’ils susciteraient par « j’ai bien le droit de m’habiller comme je veux » serait idiot ou plus probablement très hypocrite.

Le problème du hijab vient d’un paradoxe simple : au nom d’une liberté, peut-on porter un signe qui marque l’adhésion à une croyance opposée à cette liberté ? Bien sûr, toutes les femmes qui portent un hijab ne voudraient pas le rendre obligatoire, loin s’en faut. Il n’en demeure pas moins que les courants majoritaires de l’islam voient d’un très mauvais œil qu’une femme s’en abstienne. En de nombreux endroits, il est particulièrement difficile de ne pas le porter, y compris en France dans ces fameux « territoires perdus » où bien des jeunes filles n’arborent le voile que pour échapper aux remarques insistantes, quolibets, crachats ou agressions. Et valoriser la « protection » que le hijab leur offrirait n’est que donner quitus aux agresseurs !

Une femme qui choisit de porter un hijab peut-elle faire abstraction de ce contexte ? Peut-elle ignorer que, de la même manière que si elle portait un vêtement marqué d’un logo, elle est dès lors perçue comme un signe de l’influence d’une certaine idéologie, même si en réalité elle ne soutient pas cette idéologie ? Une femme qui choisit de porter un hijab peut-elle faire semblant de ne pas voir que partout où ce voile devient fréquent, devient banal – ce à quoi elle-même contribue par son choix vestimentaire – la liberté de ne pas le porter, et plus profondément la liberté de toutes les femmes, est remise en cause ?

2. Rokhaya Diallo n’est pas la femme

Pas plus qu’un homme, une femme n’a pas le droit de parler au nom des femmes. La moitié de l’humanité qui porte le double chromosome X n’est pas un tout homogène, faut-il le rappeler ? L’articulation de l’universel et du particulier est un vaste sujet, et l’existence de traits universels ne doit pas masquer la singularité du rapport que chacun entretient avec ces universels. Chaque femme a sa manière d’être femme, et la conscience qu’elle a de sa féminité ne l’obsède pas forcément au point qu’elle en fasse le seul point important de son rapport au monde. Si donc Rokhaya Diallo veut se faire à la fois la porte-parole d’Anne Hidalgo et de notre patronne Elisabeth Lévy, je lui souhaite bon courage !

Au demeurant, Bernard de la Villardière n’a aucunement prétendu parler au nom des femmes ni à leur place, mais critiquer la signification politique du port ostensible d’un symbole donné dans l’espace public. Et s’il a interrompu Rokhaya Diallo, c’est semble-t-il uniquement pour rectifier ce qu’elle disait, en précisant que le vêtement dont ils parlaient n’étaient pas seulement un voile ou un foulard, mais un hijab, c’est à dire un signe d’appartenance qui, à ce titre, n’a rien à voir avec le vieux fichu de nos grands-mères. Mansplaning ? Non, il aurait répondu de la même façon à un homme qui aurait tenu les mêmes propos.

De plus, le port du hijab par les femmes concerne aussi les hommes ! Je ne suis pas en train de dire que les hommes auraient leur mot à dire sur la façon dont les femmes s’habillent (pas plus et pas moins en tout cas que les femmes n’ont leur mot à dire sur la façon dont cette femme s’habille). Mais le hijab, marque d’adhésion à une vision du monde qui favorise la ségrégation entre les sexes et l’idée que les hommes seraient incapables de maîtriser leurs pulsions, est aussi à ce titre un message envoyé aux hommes : tout autant que les femmes, ils sont concernés par le projet de société et la vision du monde dont le hijab est devenu l’un des symboles. Voyez les pathétiques publicités comparant les femmes à des bonbons qui devraient se protéger dans leur emballage, le hijab, et assimilant le regard des hommes pour ne pas dire les hommes eux-mêmes à des mouches !

Quoi qu’en pensent Cyril Hanouna et Rokhaya Diallo, vouloir banaliser l’adhésion affichée à une telle vision de l’humanité n’est absolument pas banal.

3. L’islam politique n’est pas français

L’islam est un universalisme. Il y a d’ailleurs un paradoxe à voir l’appétence des décoloniaux racialistes, qui récusent l’idée même de valeurs universelles, pour les islamistes qui au contraire voudraient à tout prix imposer les leurs à l’humanité entière (je renvoie au remarquable travail de Gilles Clavreul sur ce sujet). Face à une doctrine transnationale à visée universelle, en l’occurence l’islam, il n’est pas absurde d’observer ce qui se passe là où elle est libre d’agir à sa guise, et plus encore là où elle détient le pouvoir normatif. Or, le constat est sans appel : l’islam aujourd’hui culturellement dominant, qu’on appelle souvent islam politique, dans sa composante sunnite « fréro-salafiste » mais aussi dans l’Iran des mollahs, impose dès qu’il le peut le port du voile : hijab, niqab, burqa, tchador, etc. La liberté qu’il revendique pour lui-même, il se garde bien de l’accorder. Pensons à Shahparak Shajarizadeh et aux autres !

Et c’est évidemment ce dernier point qui distingue le niqab de la kippa, d’un crucifix en sautoir ou du hakama rouge d’une miko. Nulle part dans le monde on ne risque la prison parce qu’on ne porte pas une kippa, un crucifix ou un hakama !

Dévoiler le voile

Nous devons constater l’habileté des islamistes qui, par une totale inversion des valeurs, veulent faire du port du hijab un signe de liberté, et la complaisance naïve ou intéressée de ceux qui les laissent faire. Constater, mais aussi dénoncer leurs ruses, et les obliger à se…. « dévoiler » !

Car ce n’est pas la liberté qu’ils défendent, mais l’islamisme. Tous ces thuriféraires du « hijab day », qui appellent toutes les femmes à porter un voile par solidarité envers les musulmanes voilées qui seraient discriminées, soutiennent-ils avec la même énergie une « journée cheveux au vent », pendant laquelle les femmes voilées ôteraient leur hijab par solidarité envers les musulmanes dévoilées qui sont insultées, agressées, emprisonnées? Le 10 juillet, « journée mondiale de la femme sans voile », où sont-ils ?



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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