Le ministre de l’Education nationale fournit à Emmanuel Macron une caution laïque. Mais quand on regarde bien sa politique, c’est aussi l’assurance de l’immobilisme! (1/2)
La rentrée à peine passée, le serpent de mer du voile à l’école est réapparu, resurgissant entre une vague Greta et un nuage rouennais.
En apparence, rien de neuf dans ce débat, hormis des désaccords interministériels donnés en spectacle et une certaine crispation des positions. En y regardant de plus près, se dessine une bien étrange stratégie de la part de Jean-Michel Blanquer.
Chevalier de la cause laïque, vraiment?
L’arrivée de ce ministre et la création de son Conseil des Sages étaient pourtant prometteurs. Malheureusement, par un choix savant de profils, le conclave d’érudits n’est parvenu qu’à faire émerger un barycentre d’immobilisme en mai 2018: le Vademecum de la laïcité, simple constat de l’état du droit dans ses interprétations les plus modérées, déposé sur le site du ministère, dans l’indifférence de la grande majorité des enseignants. C’est sur ce simple fait initial – agrémenté de quelques petites phrases savamment distillées – que le ministre s’est taillé un costume de chevalier de la cause laïque, faisant de lui une pièce de choix dans la mécanique macroniste du « en même temps ». Mais jusqu’à ce jour, sur le front de la résolution effective des problèmes, l’action de Jean-Michel Blanquer est au niveau de la laïcité, ce que le moonwalk de Mickael Jackson est à la randonnée ! La musique et les paroles sont plaisantes, mais les pas de danse se soldent par un surplace.
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Retour sur les faits. Le 12 février 2019, questionné à l’Assemblée par le député Eric Ciotti, Jean-Michel Blanquer affirme: « Bien que la question des parents accompagnateurs ne soit pas à mes yeux capitale, je la soumettrai pour avis au Conseil des Sages de la laïcité, créé il y a dix-huit mois, je le rappelle, afin de disposer d’une expertise sur les questions de laïcité dans l’Education nationale». Le 15 mai, au Sénat, après le refus d’une étude sur la question demandée par la sénatrice Patricia Schillinger, le ministre précise: « Sachez en tout cas que j’ai saisi le Conseil des Sages de la laïcité, qui remettra des analyses et des préconisations ». L’amendement adopté par le Sénat ce jour-là, visant à interdire les signes religieux lors de sorties scolaires, le voile en particulier, sera finalement enterré par les députés et sénateurs, réunis jeudi 13 juin en commission mixte paritaire relative au projet de loi « Pour une école de la confiance ». En échos aux batailles menées sur les bancs des assemblées, des manifestations de mamans voilées émailleront le mois de mai avant que l’arrivée des vacances ne cède la place au sujet du burquini.
Un seul Sage se prononce clairement contre les accompagnatrices voilées
Parmi les douze sages supposés travailler sur le sujet, un seul va prendre la parole à titre personnel, pour proposer une action concrète : Alain Seksig. Il est l’unique membre à avoir pratiqué le terrain comme directeur d’école. Il sait la difficulté pour les personnels à mettre en œuvre un texte flou. Curieusement, alors que Caroline Beyer du Figaro l’interroge le 31 mai sur la position du Conseil des Sages, il se limite à dire « nous avons choisi de travailler, d’abord, sur ce qui nous unissait et de ne pas aborder immédiatement cette question conflictuelle, sur laquelle nous sommes très attendus », mais il ne précise à aucun moment si cette instance est en train ou non d’analyser le problème à la demande du ministre.
Par ailleurs, il indique donc avec clarté sa position personnelle : « Tous se réfèrent à l’étude du Conseil d’État, en posant qu’il est possible pour un directeur d’école d’interdire la participation d’un parent à une sortie, dans la mesure où celui-ci fait du prosélytisme. Mais il est difficile, pour un directeur d’école, de se poser en juriste. Selon moi, il faut dire les choses clairement, par la loi ».
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Ses propos montrent que Monsieur Seksig perçoit le problème dans sa globalité. Il affirme clairement sa volonté de légiférer dans le champ scolaire tout en percevant le sens plus large : « Il est aussi question de la place des femmes dans notre société». Ses propos clairs, précis et concrets montrent que les Sages demeurent libres de parole dès lors qu’ils ne parlent qu’en leur nom propre. Il est donc étonnant qu’au milieu du tumulte des mois de mai et juin, un seul d’entre eux ait eu le courage de venir prendre part publiquement au débat, ne serait-ce que pour rassurer l’opinion publique en confirmant être en charge d’une réflexion sur ce problème. Sur cette même période tumultueuse, Laurent Bouvet, par exemple, qui sait, avec talent, batailler sur la question du voile des syndicalistes, de l’indigénisme à l’université ou du burquini, a semblé étonnamment peu loquace sur ces occasions de banalisation d’un marqueur de soumission de la femme dans le cadre scolaire… Sa combativité apparaît réservée aux causes que l’on peut rattacher avec certitude aux plus intégristes des musulmans, mais sa prudence reste de mise sur ce sujet qui concerne les « musulmans du quotidien». Cette attitude rejoint le positionnement d’Emmanuel Macron, qui, dès 2016, en campagne, déclarait « Je ne crois pas, pour ma part, qu’il faille inventer de nouveaux textes, de nouvelles lois, normes, […], pour aller traquer dans les sorties scolaires celles et ceux qui peuvent avoir des signes religieux ».
Cette ambiguïté de positionnement donne le sentiment que Laurent Bouvet a épousé l’un des éléments fondateurs de La République En Marche: le «et en même temps», laissant le leadership de la fermeté réelle à Alain Seksig pour les sujets touchant à l’école.
Laurent Bouvet vs Jean-Louis Bianco
Pourtant, depuis le début, ce n’est pas le discret Alain Seksig qui incarne le summum des exigences laïques mais bien Laurent Bouvet, qui d’activisme sur les réseaux en tribunes dans la presse s’est imposé.
Ses conférences conjointes avec Jean-Louis Bianco ont fini par imposer les deux duettistes comme définissant l’empan du débat, à tel point que le 25 mars dernier, l’IFOP intitulait les résultats de l’enquête demandée par la Fondation Jean Jaurès : « Les macronistes et la laïcité : un électorat plus proche de la ligne Bouvet que de la ligne Bianco ». Or, en confiant l’incarnation de l’exigence et de la combativité à un homme dont la plasticité cérébrale permet de critiquer le voile de Myriam Pougetoux, syndicaliste auprès d’adultes tout en défendant le même signe religieux ostensible porté par Latifah Ibn Ziaten, intervenante donnée en exemple à des élèves mineurs dans l’enceinte scolaire, on maintient le débat dans une zone de confort pour le macronisme. Le dispositif Bianco/Bouvet a ainsi contribué à étalonner la machine à débattre dans un champ qui n’incluait pas de position ferme et indiscutable à l’école, alors que le rôle de l’exemplarité des adultes ayant autorité dans l’intégration des normes chez les enfants est pourtant largement démontré par les experts de leur développement.
Parallèlement, le camp des combattants laïques s’est accroché aux espoirs nés du contraste entre les écrits de Najat Vallaud-Belkacem et les paroles de Jean-Michel Blanquer, au point de ne plus formuler aucune critique ni proposition, de peur de déstabiliser ce dernier. Le piège s’est alors refermé: le ministre de l’Education nationale a, à la fois, fourni à Emmanuel Macron la caution laïque et l’assurance de l’immobilisme. Le soutien constamment renouvelé au patron de la rue de Grenelle par le plus médiatique des Sages, Laurent Bouvet, a achevé de verrouiller le système. En laissant œuvrer Jean-Michel Blanquer et son art de la communication, Emmanuel Macron réussit ainsi le tour de force de faire refuser une loi sur le voile des accompagnatrices par un ministre s’affirmant défavorable au port de ce signe religieux ostensible, tout en préservant l’aura dont ce dernier jouit auprès des associations de défense de la laïcité.
>>> Retrouvez la seconde partie de l’analyse de Laurence David <<<
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