À la ville comme à la campagne, fêtons le 23 septembre comme la saison des promesses et des nostalgies brumeuses.
Nous en avons terminé. Il était temps. Nous entrons dans l’ère des pluies fines et des imperméables à doublure tartan, dans la saison des prix littéraires et des abats, des nappes à carreaux et des pébroques récalcitrants qui s’arc-boutent au vent mauvais, des mains gantées et de la buée qui vient délicatement se poser sur les lunettes de nos compagnes. Nous les regardons avec plus d’acuité, nous n’avions pas remarqué sous le soleil dardant d’août cette lueur canaille dans leur regard. Colette avait raison d’affirmer que l’été est la saison la moins intéressante, à la campagne, précisait-elle.
A lire aussi, du même auteur: Je me souviens d’Elizabeth II
Gelées matinales
En ville, aussi, les chaleurs annihilent les espaces de fuite, ferment toutes les issues possibles. Le soleil cerne nos visages, freine nos pas, fatigue nos corps alors qu’une froidure automnale ouvre des perspectives nouvelles, nous rend plus sensibles à l’inattendu et que notre esprit se remet en ordre de marche. Il est faux de dire que le printemps annonce une forme de renouveau, c’est en automne que tout se joue, les carrières, les promotions, les chutes, les emballements amoureux et les doux abandons. Un peu de patience, et nous entreverrons les gelées matinales qui donnent à la France, cette hermine de reine déchue et cette permanence poétique qui est bien notre dernier atout dans la mondialisation. Acceptons enfin notre sort de vieille nation fatiguée et splendide, vernissée et craquante, pluvieuse et rêveuse. L’été qui charrie son lot de touristes, d’espadrilles et de bermudas est enfin derrière nous. Nous en sommes débarrassés. Comme nous avons souffert, cette année encore, par tant de relâchements vestimentaires et moraux.
Le besoin de confort n’explique pas tout dans nos comportements erratiques. Le délitement s’était inséré en nous, c’est un mouvement difficile à stopper, il emporte tout avec lui, nos engagements et nos certitudes. Alors que l’automne oblige, contraint, recadre, impose des codes plus stricts et appelle à un peu de discipline dans nos habits comme dans nos comportements. Nous retrouvons un semblant de dignité dans une météo moins clémente, une relation plus équitable avec ses pudeurs et ses tâtonnements. Nous ne sommes plus sous le feu des projecteurs. La fausse promiscuité estivale disparaît au profit d’une courtoisie de bon aloi, les éclats de voix balnéaires sont tamisés par des nuits plus fraîches, une autre vérité se révèle dans nos rapports aux autres. Dans les derniers jours de septembre, les brasseries enfilent déjà leur loden de laine, on ressert des ballons de sauvignon au comptoir et la cochonaille, notre excellence française, se picore à la volée, avec plus de gourmandise. Le gras n’est plus banni, le froid donne faim. Nous avons même des pulsions soudaines de cornichons fortement vinaigrés et de céleri rémoulade, de poêlée de giroles et de gibier sauvage. La perspective d’une frisée aux lardons et de son œuf poché, dans une station normande, nous ferait presque oublier l’immobilité circulatoire parisienne et l’autoroute A13 au ralenti, le dimanche soir.
A lire ensuite, Jérôme Leroy: La trouille de l’été
Pirotte, Blondin et les autres
L’automne ravive nos envies. Les messieurs s’habillent avec plus de pondération, le velours sort des penderies, les souliers se font plus patinés, et les dames séduisent par des drapés plus lourds qui paradoxalement dévoilent des vertus érotiques. L’automne, on se fait beau. Comme dans la nouvelle du recueil Quat’saisons d’Antoine Blondin où nous partageons l’anxiété d’un « futur » lauréat : « La veille, son éditeur lui avait donné de l’argent pour aller chez le coiffeur. À ce signe infaillible, un écrivain, sous toutes les latitudes, reconnaîtra qu’un prix littéraire ne va pas tomber loin ». L’automne, ce sont aussi les fragrances d’enfance et les tristesses provinciales comme l’écrivait Jean-Claude Pirotte dans Un voyage en automne : « J’ai consumé mon enfance au fond d’une province du Nord, en lisant Dickens et Sans famille. Tu sais cela. Il me semble que c’était tous les jours l’automne, et qu’il pleuvait. Et que j’étais orphelin ; ce doit être un sentiment bien commun ». De tous les poètes, c’est l’Italien Vincenzo Cardarelli qui, en 1920, dans Voyages dans le temps donne la définition la plus éclairante de ce sentiment contrasté : « Maintenant, plus d’immobilité possible ; l’air nous entoure de vertiges. Impossible aussi, néanmoins de sortir lors des moments les plus divins. Dans la nature, de façon voilée, quelque chose s’élabore qui a besoin de n’être point vu, de demeurer seul. Et, à son tour notre volonté d’être se replie, émigre ».
Quat’saisons d’Antoine Blondin – Prix Goncourt de la Nouvelle 1975 – La petite vermillon
Un voyage en automne de Jean-Claude Pirotte – La table ronde – 1996
Voyages dans le temps de Vincenzo Cardarelli – Librairie Plon – 1928
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !