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Vœux / Dissolution: Macron entre lucidité et défausse

L’analyse politique de Céline Pina


Vœux / Dissolution: Macron entre lucidité et défausse
La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

Le président Macron a présenté pour 2025 des vœux sans souffle ni âme. S’il est mauvais, c’est parce que les Français sont divisés, a-t-il tenté de nous expliquer. Avant de se consoler en se comparant au voisin allemand…


Exercice obligé de chaque 31 décembre, les vœux présidentiels sont une figure de style qui peut être périlleuse quand le tenant du titre est totalement démonétisé. Visiblement, pour la première fois de son existence cathodique, Emmanuel Macron l’a compris et a joué l’humilité. A tel point qu’il s’effaçait même du tableau. La séquence s’est en effet ouverte sur un montage vidéo de quelques minutes qui mettait en avant la réussite collective. Pas de « moi je », mais un « nous » qui n’est pas de majesté mais met en scène l’engagement d’une nation, le dépassement et l’accomplissement commun. Peut-être un peu trop d’ailleurs. Au moment où la conscience de notre déclin devient impossible à nier, où le niveau scolaire s’effondre, où l’échec de la réindustrialisation est patent et où notre modèle social devient insoutenable sans que les pouvoirs publics réagissent pour sauver l’hôpital, l’Assurance maladie, voire contribuent à aggraver la situation de notre système de retraites, c’était à un cocorico en mode « impossible n’est pas français » qu’Emmanuel Macron nous a convié mardi soir.

Une tentative de prendre de la hauteur pas encore aboutie

Le problème c’est qu’en même temps que le montage vidéo se déroulait, on n’entendait que le sous-texte fort peu subtil des communicants : « faut la jouer collectif, coco ». Fini le temps de l’ego et de l’autojustification en mode passif-agressif qui gâche la plupart des prises de parole du locataire de l’Élysée, vraiment ? Mardi, la posture était claire : il s’agira désormais de se positionner au-dessus de la mêlée, rassembleur, présidentiel en quelque sorte… Un exercice tellement compliqué pour ce président que cela ne pouvait aboutir qu’à cet effacement en début de séquence : la célébration d’une forme de génie français aurait été parasitée par sa présence à l’écran et aurait agacé s’il avait dû la faire face caméra.

Les Français ne lui reconnaissent pas cette capacité d’incarnation. Emmanuel Macron n’a jamais réussi à se dépasser lui-même ; il ne représente la France que sur le papier et toute tentative d’en incarner l’esprit est vue de sa part comme une imposture et une manipulation. Le choix d’une vidéo qui mettait surtout en avant le travail et l’engagement des Français à travers la célébration des JO et de la reconstruction de Notre-Dame était donc une bonne idée puisqu’elle évitait un abcès de fixation : la plupart des Français ont envie de célébrer la fierté d’avoir relevé de ses cendres Notre-Dame mais rechignent à mettre cet exploit au crédit de leur président, alors qu’il n’est pas pour rien dans cet accomplissement. Le choix de cette séquence introductive était donc intelligent mais révèle en creux à quel point la personne du président insupporte puisqu’alors même que la prise de parole était courte, sa présence a dû encore être limitée. Cela affecte directement la deuxième séquence. Celle où il va appeler au « ressaisissement collectif » alors qu’il est le moins en situation de l’inspirer.

Un mea culpa a minima

Mais avant, il fallait en passer par un chemin qu’Emmanuel Macron n’aime guère emprunter :  le mea-culpa. Mais là encore, impossible de trouver un itinéraire bis : il a fallu passer à Canossa et reconnaître que « la dissolution a produit plus d’instabilité que de sérénité ». Qu’en termes galants ces choses-là sont dites… Il faut surtout dire que ses tentatives récurrentes de se présenter en martyr incompris de l’irresponsabilité du monde politique dans son ensemble et de l’inconséquence des électeurs en particulier a exaspéré tout le monde. Amende honorable fut donc faite, certes a minima, mais après tout nul n’aime s’appesantir sur ses fautes, surtout lorsqu’elles résultent d’une incapacité à gérer ses humeurs et ses caprices.

On atteignait là le cœur du discours présidentiel, et ce mea culpa attestait le fait que ce trop immature président a toujours besoin de se poser en Tartarin de Tarascon même quand il rentre la culotte déchirée et la besace vide. Passons sur la rodomontade d’une France qui « continue d’être attractive » alors que les Français ne savent pas où il mène le pays, ne voient pas quel est le projet commun qui les unit et ne se sentent pas défendus alors qu’ils se savent attaqués, mais sur ce point le président n’avait rien à dire au pays. En revanche il avait bien un message à transmettre. A son opposition.

Le rejet permanent de la responsabilité

En effet sa sortie sur la légitimité du parlement « qui représente le pays dans sa diversité et donc aussi dans ses divisions » est une façon à nouveau de rejeter ses responsabilités : il n’est pour rien dans les divisions des Français et ils sont donc responsables de l’impossibilité à gouverner ce pays. Derrière la fausse reconnaissance des erreurs, la défausse continue.

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Mais ce passage visait surtout à mettre en valeur la seule véritable annonce concrète de la soirée, le fait de demander aux Français de « trancher des sujets déterminants ». Pour le grand public, c’est l’annonce de référendums et donc une forme de reprise en main sur la décision publique. Certes cela satisfait les attentes du pays qui n’est pas si divisé sur un certain nombre de sujets essentiels : immigration, sécurité, protection sociale… Mais, il est naïf de croire que cette annonce aura d’autres effets que de permettre au président de tenter de reprendre symboliquement la main. Son but essentiel est de faire passer un message : « je ne démissionnerai pas et si le parlement me contrarie, je passerai par-dessus sa tête pour tenter de retrouver l’onction populaire. » Derrière des vœux « rassembleurs », le rapport de force d’un homme qui ne sait composer avec personne. Et peut-être pas même avec ce peuple qu’il ne voit que comme un outil pour déstabiliser ses adversaires politiques. Aucune vision d’avenir ne se dessine donc au terme de cette séquence.

La reconnaissance de l’échec actuel de l’Europe

Finalement le plus intéressant de ces vœux vient de la reconnaissance de l’échec et de la naïveté de l’Europe. Mais le vœu pieu qui en ressort montre à quel point la prise de conscience ne débouche sur aucune perspective d’action. Cela a d’ailleurs donné lieu à un moment cocasse, celui où le président essaie encore de se dédouaner de son échec personnel en montrant du doigt son homologue allemand. Lui aussi en pleine tourmente politique. Là encore on entend bien la musique de l’irresponsabilité : « je ne suis pas responsable du chaos, regardez l’Allemagne n’est pas en meilleure posture que nous. » Il se trouve que les dirigeants allemands souffrent sans doute de tares identiques aux siennes et ont accumulé les erreurs évitables, comme lui et ses prédécesseurs. Aucun des deux pays n’est une pure victime des circonstances et vouloir nous le faire croire c’est nous désarmer encore et renoncer à nous défendre comme à nous relever. Pour que l’action politique soit crédible encore faut-il qu’elle soit vue comme capable d’avoir une prise sur la réalité. Derrière l’apparence de reconnaissance de la souveraineté populaire, on trouve surtout la démagogie utilisée comme tactique pour gagner du temps. 2025 n’a pas vraiment commencé mais le temps parait déjà long…

Il parait d’autant plus long qu’il a finalement manqué quelque chose d’essentiel à cette cérémonie de vœux : de l’humanité. Ce président à bout de souffle n’a pas eu un mot pour ceux des nôtres victimes de cette idéologie totalitaire qui menace le monde et l’Europe, l’islamisme. Pas un mot sur nos compatriotes otages aux mains du Hamas depuis le 7-Octobre. Pas un mot sur la violence antisémite qui s’abat sur le pays. Pas un mot sur l’embastillement de Boualem Sansal en Algérie. Là où certaines nations mettent un point d’honneur à être toujours là pour leurs citoyens, le président français a lui donné l’impression de s’en laver les mains. En revanche, l’Élysée n’a pas manqué de mettre en avant des causes qui ne nécessitent aucun courage politique. La tentative d’annexion de l’affaire Pelicot dans l’introduction vidéo des vœux était à ce titre dérangeante. Celle qui a fait preuve de courage, c’est Gisèle Pelicot. Mais cette force lui appartient. En revanche, exhiber sa vertu en s’indignant sur cette affaire n’est pas une preuve présidentielle de courage mais d’opportunisme. La condamnation étant unanime, les politiques ne prennent aucun risque à se positionner sur ce dossier… En revanche, ignorer la souffrance des Juifs de France et abandonner un écrivain à son sort pour ne pas engager le rapport de force avec un pays malade et corrompu, choisir d’ignorer que le Hamas a esclavagisé deux de nos compatriotes, c’est choisir de ne pas se tenir aux côtés des citoyens quand ils sont sous la mitraille. C’est choisir aussi de ne pas regarder en face le fait que nous avons sur notre territoire des représentants de ces idéologies violentes et corrompues et que certains siègent jusqu’au parlement – et pas à l’extrême-droite de l’hémicycle. C’est oublier enfin que ces idéologies entendent constituer une armée de réserve et agissent patiemment politiquement sur notre territoire pour y arriver. Le choix du déni plutôt que le soutien apporté à ceux des nôtres otages de conflits qui les dépassent n’est pas étonnant venant de ce président, mais ne présage rien de bon pour 2025.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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