Il s’avère qu’en russe le nom d’un poisson, vobla, est proche du mot guerre, voyna. Ce qui suffit aux « mèmeurs » russes à enflammer la toile.
En Russie, il est interdit de critiquer l’« opération spéciale » contre l’Ukraine, illégal de « discréditer » l’armée russe et rien que prononcer le mot « guerre » peut être considéré comme de la diffusion de fausses informations. Or, au cours des derniers mois de 2022, des mèmes (ces images ou gifs légendés repris d’innombrables fois sur internet) représentant un poisson ont proliféré sur les réseaux sociaux russes, y compris sur la plateforme liée à l’État, VKontakte.
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Plus précisément, il s’agit d’une variété de gardon qu’on trouve dans la Volga et la mer Caspienne, et qui est mangée sans sauce sur du papier journal, arrosée avec de la bière. Il s’avère qu’en russe le nom de ce poisson, vobla, est proche du mot guerre, voyna. Le 24 septembre, une habitante de la ville sibérienne de Tioumen, Alisa Klimentova, a écrit sur le mur d’une place publique : « Non à la v***la ». Arrêtée et présentée à un magistrat, elle a expliqué qu’elle protestait contre cette espèce de poisson qu’elle déteste. Le juge, nommé Romanov, a accepté sa défense et ordonné qu’elle soit libérée et que sa boîte de bâtons de craie lui soit restituée. La conséquence a été l’explosion de mèmes ichtyens. L’humoriste russe, Semyon Slepakov, résidant en Israël, a écrit une chanson dans laquelle il exploite le gardon comme métaphore filée pour critiquer la guerre et l’autoritarisme poutinien. Postée sur YouTube, le 14 octobre, elle a été vue 2,6 millions de fois. Des images se sont propagées montrant le poisson barré d’un trait rouge.
De fausses couvertures de livre et affiches de film se sont multipliées représentant « Vobla et Paix » de Tolstoï, « La Vobla des mondes » de Wells ou « La Vobla des étoiles » de Lucas. Malheureusement, le dossier de la femme a été rouvert et, en décembre, elle a écopé d’une amende de 30 000 roubles (400 euros). Depuis l’époque soviétique, les Russes sont les maîtres de ce genre de satire indirecte. Face à la propagande officielle, ils savent nager à contre-courant [1].
[1] Sources : russianpodcast.eu, reason.com, globalvoices.org, meduza.io, ground.news.