Les présidents russe et ukrainien portent le même prénom.
C’est un symbole de la guerre plein de sens, mais dont on ne parle pas, tellement le malheur est grand pour les gens qui la subissent, tellement les conséquences sont lourdes pour le monde entier. Les deux protagonistes principaux du conflit russo-ukrainien portent le même prénom. Vladimir (Poutine) en transcription russe, Volodymyr (Zelenski) en ukrainien.
Dans l’histoire des slaves orientaux ce n’est pas un prénom quelconque. Il est celui de Vladimir 1er, connu également comme Vladimir le Grand ou encore Vladimir le Beau Soleil, le grand-prince de la Rus de Kiev, le prince de Novgorod la Grande. L’un des descendants les plus emblématiques de la dynastie Riourik, ces Vikings qui ont fondé la Rus de Kiev, ces terres reparties aujourd’hui entre Ukraine, Biélorussise et Russie. Vladimir le Grand est celui qui a converti la Rus de Kiev au christianisme il y a un peu plus de mille ans, en 988 et qui a posé les bases de la civilisation dont les deux peuples voisins s’arrachent aujourd’hui la possession et l’héritage.
Ce Vladimir de l’Histoire qui a régné sur Novgorod, l’une des plus anciennes villes de la Russie moderne et sur Kiev, la capitale indéfectible de l’Ukraine, pourrait-il réconcilier les pays de deux Vladimir en guerre ? Au vu des nouvelles qui proviennent du théâtre des opérations, qui annoncent des combats dignes de Verdun et de Stalingrad, avec des pertes humaines effroyables, cette hypothèse n’est pas d’actualité. Les deux Vladimir de la guerre sont aux antipodes l’un de l’autre, sur tous les points, séparés par une ligne de front.
L’un revendique, sans le cacher, depuis la publication sur le site du Kremlin de son article « De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » en juillet 2021, la racine commune des deux peuples, leur destin inséparable, car pour Vladimir le lien de sang passe par-dessus toutes les autres vérités et surtout celle du désir d’être ensemble ou non. L’autre, Volodymyr, crie son désir de l’Europe et de l’Occident. Parce que l’Ukraine, ce « bord » occidental du foyer des slaves orientaux, a connu d’autres influences et d’autres alliances, notamment celle de la République des Deux nations, un royaume polono-lithuanien, prospère entre XVIème et XVIIIème siècles.
C’est un différend qui parait irréconciliable, qui ressemble sur le fond aux déboires des couples divorcés se battant pour la garde de leurs enfants. Où chacun cherche à s’entourer des avocats les plus redoutables pour gagner la partie. Volodymyr se fond dans les bras du vieux président de la plus grande puissance mondiale, bien qu’en perte de vitesse. Vladimir, lui, mise sur un autre chef d’Etat, celui du plus grand pays asiatique, en pleine expansion.
L’étymologie du prénom Vladimir apporte une touche ultime à cette incroyable symbolique de l’opposition entre deux présidents et, derrière eux, entre deux mondes. « Vladi » vient du mot « vlastj », qui signifie « pouvoir » et « gouvernance », alors que « Mir » veut dire en russe « paix », mais aussi « monde ». Ce choc régional vu d’abord uniquement comme une agression brutale d’un pays voisin par un président cruel s’est transformé en une confrontation mondiale Ouest-Est à son apogée, portée par deux peuples venant de la même terre, ayant la même croyance et le même sang. La guerre fratricide entre le pays de Vladimir et celui de Volodymyr est une incarnation dramatique de notre monde d’aujourd’hui. Qui n’aime plus son histoire millénaire et sa logique, sa richesse et ses enseignements. Pendant que l’Occident se voit happé par le phénomène de la cancel culture et son impitoyable tribunal numérique, la Russie de Vladimir interdit l’ONG Mémorial et oublie les crimes de Staline. Parmi lesquels 3.6 millions de victimes du Holodomor en Ukraine, mais aussi autant, voire deux, voire 10 fois plus de morts (selon les différentes estimations des historiens) dans le Goulag russe. Et bien que le tort de Vladimir dans le conflit avec l’Ukraine soit évident et impardonnable, la quête de Volodymyr et de son parlement pour effacer dans son pays les traces russes, culturelles et historiques ne pourra pas apporter « mir », la paix sur cette terre qui brûle aujourd’hui dans des combats féroces…
Quelle que soit l’ampleur de l’aide militaire et du support politique du monde démocratique, l’ombre de Vladimir le Grand planera toujours sur l’Ukraine et la Russie et ce, indépendamment de la transcription de son prénom.