Le 16 février, peu de temps avant le deuxième anniversaire de la guerre en Ukraine, on apprenait la mort, à 47 ans, d’Alexeï Navalny, le plus célèbre des prisonniers politiques russes. Le mystère reste entier sur les causes du décès, survenu dans un centre pénitentiaire situé en Iamalie, au nord de l’Oural. Mais pour Jean-François Colosimo, le crime d’État ne fait pas de doute. Et les raisons de résister au régime n’en sont que plus pressantes. «Ioulia Navalny peut faire chuter le régime de Vladimir Poutine», nous dit-il. Grand entretien.
Dernière minute ! Vladimir Poutine vient d’être réélu, sans surprise, président de la Russie, avec 87% des voix. Au commandes depuis 1999, le boss du Kremin obtient un nouveau mandat de six ans, et va ainsi dépasser en longévité Staline. Félicitations ! • |
Causeur. Qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris la mort d’Alexeï Navalny ?
Jean-François Colosimo. L’heure de la mort, la nôtre, celle des autres, demeure l’irréductible inconnue de nos existences. Dans le cas de Navalny, on la savait néanmoins annoncée, proche, fatidique. Quiconque n’entretient aucune illusion, idiote ou servile, sur le régime criminel, terroriste et mafieux de Poutine s’attendait à cette échéance inéluctable. Ce qui n’a pas empêché une immense tristesse à voir une fois de plus triompher l’iniquité et, au moins dans l’instant, l’impunité. Puis est venue la colère, vite balayée par l’évidence que ce sacrifice volontaire constitue un testament impératif. Dans un entretien promis à être diffusé à titre posthume, à la question évoquant sa possible disparition, Alexeï Navalny avait déjà répondu : « Un pouvoir qui tue ses opposants est un pouvoir faible. Ne lâchez rien ! »


Qui était et que représentait selon vous Alexeï Navalny aux yeux de Vladimir Poutine ?
Vladimir Poutine redoutait Navalny au point de refuser de prononcer publiquement son nom, dans un de ces exorcismes superstitieux propres aux tyrans qui croient que nier la réalité suffit à l’annuler. C’est qu’en ancien du KGB, le fossile Poutine n’avait pas manqué de percevoir dans l’événement Navalny le spectre de sa propre fin. Isolé dans son bunker, heureux d’être désinformé par des courtisans lèche-bottes, se délectant des tristes pitreries télévisées d’idéologues fanatisés à son gré, recevant en secret des chamans sibériens censés lui procurer la longévité, voire l’immortalité, le sectateur de Staline ne cesse de repasser dans son cerveau l’issue qui le hante, la sortie dégradante des Milosevic, Saddam, Kadhafi et consorts. Cette réjection définitive dans les enfers de l’histoire dont Navalny, en tant qu’icône christique, pascale et si ataviquement russe du juste revenu d’entre les morts, était le messager.
Y avait-il des
