« Bon alors, vous avez tous vu un président paralysé, enlevé par des généraux, et qui est arrivé en avion de Suisse où il a lui-même accouché?» « Dans son genre, il ne manque pas d’un certain humour, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov quand il commente la réapparition de Vladimir Poutine après dix jours d’absence médiatique, ce qui équivaut en ces temps spectaculaires debordiens qui sont les nôtres, à une mort presque certaine puisque n’existe que ce qui apparaît.
Vouloir s’en aller, souffler, échapper aux réseaux sociaux ou aux smartphones équivaut de plus en plus pour le particulier à un synonyme de mort sociale, de sécession suicidaire alors imaginez un peu pour un chef d’État comme Poutine. Car Poutine présente deux intéressantes particularités pour des Européens et dans une certaine mesure aussi pour des Américains : primo d’être un chef et secundo d’avoir encore un État à commander, c’est-à-dire d’exercer un certain pouvoir sur le cours des événements, ce qui n’est manifestement plus le cas des dirigeants occidentaux qui miment les gestes de la Foi en espérant qu’elle revienne mais ne dupent plus personne. La preuve, quand un pays comme la Grèce tente de reprendre son destin en main, on voit à quel point cela rend hargneux et méprisant un Wolfgang Schäuble, par exemple, le ministre des Finances allemand.
Le commentaire de Dmitri Peskov reprenait sur le mode ironique les principales hypothèses sans aucun fondement qui ont accompagné l’absence de Poutine. La maladie grave, le coup d’État, la maîtresse qui accouche en Suisse. Si on examine une par une ces hypothèses qui tenaient plus du fantasme d’autre chose, on voit qu’elles portent, précisément, sur une forme de nostalgie informulée pour un chef d’État qui serait la clef de voute effective d’un système, un chef d’État qui aurait un corps et qui en disparaissant physiquement ferait s’écrouler tout ce qu’il a construit. Ce n’est pas faire injure aux dirigeants européens, encore une fois, de dire que leur disparition ne changerait pas grand chose au destin de leur pays. Une politique austéritaire ou une soumission toujours plus grande aux USA via des traités comme le TAFTA négociés en secret, l’histoire récente nous a montré qu’une conservatrice britannique, un socialiste français ou une démocrate-chrétienne allemande étaient parfaitement interchangeables sur ces questions.
Votre serviteur n’a aucune admiration particulière pour Poutine, il tient à le préciser car il est vrai qu’aujourd’hui le simple fait de dire que Poutine n’est pas un vampire assoiffé de sang suffit à vous faire passer dans le camp de l’abjection totalitaire, des nostalgiques de l’URSS ou au contraire dans ceux qui souhaitent l’avènement généralisé d’un national-populisme en Europe. Mais je n’ai pu m’empêcher de sourire quand j’ai vu des médias très sérieux relayer avec gourmandise des rumeurs qui, sur un autre sujet que Poutine, auraient été taxées de complotistes. Quand on se jette ainsi, sans la moindre rationalité, dans le ragot et que l’on prend ses désirs pour des réalités, que l’on est convaincu qu’en le répétant, ça va bien finir par arriver, on parle en psychanalyse de « pensée magique ». Si je dis que Poutine est malade, alors ça va bien finir par arriver. Si je dis que des militaires l’ont poutché au Kremlin dans une révolution de palais, alors je vais arriver à la provoquer.
Le problème est que Freud explique que cette pensée magique, normalement, décline après l’âge de douze ans. Si Poutine avait voulu s’assurer du degré de maturité de cet Occident postmoderne et postdémocratique qui cherche vainement à sortir d’une Histoire qui le rattrape de tous côtés, il peut être rassuré : de fait, comme certaines personnes âgées et fatiguées, il est complètement retombé en enfance.
*Photo : Mikhail Mordasov/AP/SIPA. AP21707940_000001.
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