La parution du troisième et dernier volume en « Pléiade » des Œuvres romanesques complètes de Vladimir Nabokov est l’occasion de retrouver un écrivain souverain et enchanteur. Aux côtés de Proust ou Joyce, il est un des rares écrivains du XXe siècle à créer un monde à lui reconnaissable dès les premières lignes.
Cela commence, peut-être, simplement par quelques images.
Un immense ciel d’été, en Russie, où les nuages dorés passent dans le silence d’une après-midi aux allures d’éternité. Une route américaine des années 1950 qui ne mène nulle part, sinon à l’enseigne clignotante d’un motel désert. Un échiquier où une partie se joue dans les diagonales du fou et crée un réseau insensé de possibles. Un papillon qui agonise en couleur dans le filet d’un petit garçon, sur la Côte d’Azur. Une cellule de prison où un homme attend une exécution dans un pays inconnu. Un château dont l’architecture n’est pas de notre monde ou, plutôt, d’un monde qui aurait pu être le nôtre, mais dont d’infimes différences signent l’étrangeté définitive. Un écrivain penché sur sa table dans un appartement londonien ou parisien.
Ecriture kaléidoscopique
À quelle époque sommes-nous ? Peu importe. Dans quel lieu ? On peut toujours essayer de se raccrocher à des noms, ils ne renvoient pas nécessairement à notre réalité. Et pourtant, nous y sommes, nous y sommes vraiment, par la seule magie d’une écriture kaléidoscopique. Vladimir Nabokov, c’est d’abord cela : un enchanteur qui sait jouer de ses métamorphoses. « Hélas, écrit-il dans Intransigeances avec ce mélange de coquetterie et d’ironie dont il est coutumier, je ne suis pas un gibier bien intéressant pour les chasseurs d’influences. ».
On peut malgré tout, pour savoir d’où vient cet écrivain dont pour une fois, il n’est pas exagéré de dire qu’il est inclassable, se référer à sa biographie. Nabokov est né en 1899 à Saint-Pétersbourg. Il est issu d’une famille de la grande bourgeoisie avec un père professeur de droit, opposant politique libéral qui préfère la réforme à la révolution. Comme il est normal à cette époque, Vladimir Nabokov apprend dès sa prime enfance l’anglais et le français. Après
