Dans un beau livre illustré, l’historien Jean-Pierre Rioux nous raconte comment la défense de nos clochers est devenue, au fil du XXᵉ siècle, un enjeu majeur de la politique patrimoniale française. Vive nos clochers – Avec Barrès, Hugo, Proust et les autres (Editions Bleu Autour, 2024)
Il était là. Au milieu de la paroisse, du village, de la cité, tellement visible, tellement surplombant, tellement sonnant que plus personne ne faisait attention à sa présence séculaire.
Notre décor mental
Il faisait partie de notre décor mental, de notre biotope culturel, de nos racines culturelles, que l’on soit pratiquant ou pas, il était à la fois le témoin de notre histoire communale et la permanence d’une France ancrée dans le catholicisme. Et puis, par lassitude, par abandon, presque involontairement, face à l’explosion des coûts d’entretien et à une déchristianisation lente de nos campagnes, nous n’avons pas su le retenir, le choyer, lui dire combien il était cet ami fidèle, ce gardien de troupeau bienveillant. Ce phare qui éclairait nos plaines inertes plusieurs kilomètres à la ronde était plus qu’un échalas de pierre, il était tuteur et mémoire, recueillement et monument, mystère et rêverie. Un jour, notre église tomba en ruine et notre clocher disparut. Ce jour-là, nous avons perdu un peu de nous-mêmes et l’identité de notre communauté s’en est allée. Dans un monde ultra-connecté et déshumanisé, quelle trace restera-t-il de nos anciennes fraternités ? Ce clocher que nous avions fini par oublier, par délaisser était au cœur de notre vie quotidienne. Il était témoin et acteur de nos solidarités. Il nous rattachait à quelque chose de plus grand que nous. Cette histoire n’est pas une fiction, elle est le symbole du délitement de nos vieux liens qui couraient bien au-delà des remous de la loi de 1905.
Débats sans fin
Nos clochers ne sont pas éternels. Alors, aujourd’hui, le patrimoine ne relève plus du folklore de quelques âmes charitables comme la défense des animaux, mais bien d’un nouveau socle sur lequel de nombreux citoyens, croyants ou non, veulent se rattacher. Nos clochers ont une valeur de transcendance. Ils sont des repères existentiels et non le catafalque de nos turpitudes. On veut les protéger, les sauver, les maintenir en vie mais jusqu’à quel point ? Si les Français sont, de nouveau, sensibles au sort réservé à leurs clochers et à leurs calvaires, le quoi qu’il en coûte n’est plus au programme commun des budgets municipaux.
Jean-Pierre Rioux, spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la France contemporaine dresse un panorama de nos clochers dans un ouvrage illustré paru chez « Bleu Autour », la belle maison d’édition située à Saint-Pourçain-sur-Sioule (03). Sous le titre enthousiaste Vive nos clochers, il raconte comment nos églises, épicentres des provinces, ont été à l’origine de féroces combats idéologiques et comment leur sauvegarde est encore une source de débats qui agitent les élus et les populations locales. Car, l’église n’est pas « un bâtiment municipal comme un autre ».
Les grands écrivains à la rescousse
L’intérêt de cette réflexion est qu’elle s’appuie sur les écrits de Barrès, Hugo, Proust et qu’elle débute même sur une chanson, La petite église, de Paul Delmet, interprétée par la voix chaude et perchée de Tino Rossi. Rioux avoue que c’est le refrain de cette incantation populaire dont les paroles commencent ainsi Je sais une église au fond d’un hameau… qui l’a poussé vers La Grande Pitié des églises de France de Maurice Barrès. Le député des Halles et académicien est l’homme par qui tout a commencé. Jean-Pierre Rioux écrit : « Il est donc prêt en 1910 à voler au secours des clochers. Avec une boussole : « Je défends les églises non parce que j’aime dans le catholicisme une gendarmerie spirituelle, mais au nom de la vie intérieure de chacun ». Barrès a le verbe haut et la fougue des convaincus. Par tribunes de presse, il part à l’assaut « pour un classement du bâti le plus ancien » sans se présenter en catholique mais pour mieux « préserver la civilisation et l’âme nationale ». Sa prose emporte et ses mots résonnent à cent ans d’intervalles, avec un mimétisme clairvoyant : « Le meilleur moyen de défendre nos églises, c’est de les faire aimer, d’intéresser le grand public à leur sort ».
Au XXème et en ce début de XXIème siècle, Rioux nous parle de nos rapports plus ou moins distanciés avec nos clochers ; de « la communion avec les poilus » jusqu’à l’émoi de Notre-Dame en flammes. Il va jusqu’évoquer le clocher de l’enfance si cher à Marcel ; dans les premières pages de Swann quand le train arrive à Illiers-Combray, Proust se souvient : « On reconnaissait de bien loin le clocher de la nôtre, inscrivant à l’horizon sa figure inoubliable ».
Vive nos clochers – Avec Barrès, Hugo, Proust et les autres – Bleu autour 184 pages
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