Raynal Pellicer et Frèd Langout signent une bande-dessinée humoristique sur une province abandonnée et cependant hautement estimable aux éditions Librairix. Les Berrichons relèvent enfin la tête sans se prendre au sérieux !
Entendez-vous ce cri qui s’élève du fond des campagnes françaises ? Le cri des terres de l’intérieur poussé par une vague d’ennui, la désertification et l’amour de la vigne ; celui aussi du chanteur abandonné ou du pilier de bar désœuvré. Du Centre de la France, au pied des coteaux de Sancerre, au sommet de la Cathédrale Saint-Etienne, des rues pavées de Bourges aux étangs de la Brenne, dans les pas de Jacques Cœur ou dans la voix de Jean-Louis Boncoeur, le Berry appelle au secours dans l’indifférence générale. Il invoque son quart d’heure de célébrité en dehors des périodes du Printemps, son Festival de musique qui faisait fuir naguère les Berruyers indisposés par cette jeunesse désordonnée et chevelue. Avouez-le, vous ne connaissiez même pas son existence géographique ; je sais que vous confondez le Berry avec l’Auvergne, vous mélangez la Sologne et le Bourbonnais, le Nivernais et la Beauce, vous ignorez tout de cette diagonale du vide qui coupe Issoudun en sa Basilique. Les caméras de télévision ne se déplacent chez nous qu’en cas de visite papale ou de tuerie de masse, c’est dire que nous encombrons peu les écrans, mêmes nos faits divers ont de la boue collée à leurs bottes.
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Pourtant, à la seule évocation du mot « Cognette », j’ai connu des fines gueules défaillir, et la mort au combat du lieutenant d’infanterie Alain Fournier en septembre 1914 au sud de Verdun dans les Hauts de Meuse, loin de son école de la Chapelle d’Angillon, nous émeut encore. Ma grand-mère se souvenait de la visite du Général et de Malraux, le 14 mai 1965, dans cette Maison de la Culture construite en briques rouges ; ce jour-là, De Gaulle et Calder engagèrent une conversation autour du « Stabile », le sextant de ma jeunesse, cette sculpture que j’ai longtemps prise pour un taureau égaré dans le Boischaut mais qui faisait référence à l’œuvre de Shakespeare. Vous n’avez certainement jamais vu la gare de Vierzon, un soir d’hiver ! Il y a des tristesses qu’un honnête homme ne doit pas ignorer dans une vie de pénitence. Il faut dire que cette ligne ferroviaire est la hantise des voyageurs tant sa régularité est surréaliste. Elle n’a rien à envier à celle de Perpignan si Dalí avait seulement daigné remonter le cours de la Loire.
Quand d’autres provinces ont droit à leur signalétique propre, leur langue régionale calligraphiée, leurs traditions vantées à coups de reportages aux 13 Heures, leur singularité poétisée par les grands artistes encartés du moment, leur gastronomie copiée dans les palaces du Nouveau Monde, le Berry semble cet éternel recalé. Absent de la photo. Aussi fade qu’un plat de lentilles du Puy, celles du Berry, incomparables, sont notre or vert. Le Berrichon porte le bonnet d’âne (noir) du mauvais élève de la classe européenne. Il ne peut s’enorgueillir d’aucune richesse particulière, ni minerais de fer ou de phosphate dans son sous-sol, quelques girolles et rosés des près à la rigueur, esseulé, il ne se prévaut d’aucune qualité particulière lors des réunions de famille. Sa Miss a ainsi mystérieusement disparu du concours national.
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Le Berrichon n’est pas aussi économe que son voisin auvergnat, pas aussi sympathique que le Chti, pas aussi fier que le Basque, pas aussi têtu que le Breton, que lui reste-t-il donc ? Il aimerait lui aussi briller en société. Dans cette folle concurrence des identités bafouées, face à un État centralisateur et volontiers méprisant, les deux auteurs de BD ont eu l’idée croquignolesque de suivre les mésaventures de Guillaume Ledoux, le chanteur des Blankass dans sa quête d’un Berry libre et indépendant. Une auto-détermination emmenée par une bande de bras cassés et de doux rêveurs, où la soulographie et les crises existentialistes sont des prétextes à la déconnade. La foirade est leur univers impitoyable. Adieu Paris ! sous-titré « Make Berry Great Again » a été tiré à 3 000 exemplaires dans sa première édition. Tous les Berrichons qui se respectent ont déjà été l’acheter car c’est un futur collector. Il a sa place dans une bibliothèque entre Paris-Berry de Frédéric Berthet et Berry Story d’A.D.G. Je l’ai trouvé chez Librairix, rue Coursarlon à Bourges, après avoir fait mes emplettes de Noël chez les bouquinistes de la rue Bourbonnoux, notamment l’achat à la Bouquinerie Pass’âge de la Petite flore argotique de Robert Giraud illustrée par Gilles Sacksick, ouvrage paru chez Dominique Halévy en 1968. Pour les locaux, cette BD sera pleine de trouvailles et de « private jokes », elle est noyée sous des litres de Quincy et de Menetou-Salon, on y croise évidemment Depardieu et Denisot, des tours de sorcellerie, une poule noire réfractaire et un anarchisme rural canal historique. Une histoire qui commence à la table de C’heu l’Zib, troquet de légende validé par le Prince d’Arenberg, entre le brochet à la crème et la charlotte au chocolat, est une belle entrée en la matière. Un midi, je suis sorti de cette table à 17 h 30, les forces de l’esprit sont redoutables dans cet endroit-là. Parmi les 25 propositions pour un Berry libre et indépendant, je retiens la mesure numéro 1 : « La prolongation du canal de Berry jusqu’à la mer » et la numéro 21 : « L’interdiction de la bourrée pour des raisons sanitaires ».
Raynal Pellicer et Fred Langout, Adieu Paris ! (Librairix éditions, 2023)
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