Laurent de Sutter, ce jeune philosophe belge qui partit d’un si bon pas en déclarant à la face du monde son Indifférence à la politique (PUF, 2008) nous revient aujourd’hui avec Contre l’érotisme, un petit livre sur l’orgasme (La Musardine, 2011). Mais le lecteur salace sera déçu. Ici, nul éloge des seins mûrs ou des jeunes filles. Ce petit opuscule se veut intégralement philosophique.
Il faut dire que Laurent de Sutter jouit d’une perversion très rare : c’est un fétichiste des chevilles logiques. Rien ne l’excite comme une proposition métaphysique si ce n’est, peut-être, la possibilité de lier deux propositions métaphysiques. Appliqué au plaisir, le résultat est étonnant. Il y avait un empirisme logique, il y aura désormais une pornographie logique[access capability= »lire_inedits »], ce qui constitue une excellente nouvelle pour la pensée.
En chercheur appliqué (on ne saurait trop recommander sa reconstitution du système juridique de Gilles Deleuze, un chef-d’œuvre), Sutter commence par se faire l’archiviste d’une sorte de bêtise propre à une époque qui confond émancipation politique et révolution sexuelle. Certes, cette confusion est moderne, sympathique, charmante, engageante, mais elle est encore pire que le règne de la technique à laquelle nous devons la destruction irréversible de la mince couche d’ozone qui devait nous protéger du soleil, c’est-à-dire de la mort. Depuis que Reich a lancé sa fatwa contre les frustrés, la révolution du bonheur génital est en marche et rien ne l’arrêtera, pas même la dépression des pauvres âmes qu’elle devait libérer. La gymnastique au pieu est devenue l’horizon indépassable de la modernité. La question angoissante du contemporain épanoui n’est pas: « Qu’est-ce que la vie bonne ? », mais « Et pour toi, c’était bon ? » La misère sexuelle est devenue notre hantise. Exploiter ses contemporains, passe encore, mais ne pas jouir de son petit organe, voilà le crime.
Comment sortir de cette jouissance obligatoire pour tous ? Comment sortir de cette obsession du sexe ? Mais par la pornographie, voyons ! Telle est la thèse, il est vrai paradoxale, de ce tractatus plein d’allant qui revisite complètement le lien entre érotisme et pornographie.
Vous pensiez que la pornographie banalise ce que l’érotisme transgresse intelligemment ? Vous aviez tort. La transgression n’est qu’une ressource érotique parmi d’autres, et pas nécessairement la plus intelligente. Quant à l’amour, il est une perversion parmi d’autres, et pas toujours la plus jolie-jolie.
C’est dire si la pornographie exerce une fonction de désublimation du plus grand intérêt. Si l’amour prétend jouir de l’unique sous l’espèce de la totalité (tu es tout pour moi), la pornographie est le mouvement qui nous permet de nous défaire de cette prétention stupide au bonheur qui est une prétention stupide à l’unité. À l’unité rêvée des amants, Laurent de Sutter oppose la pratique concrète des plaisirs au regard de laquelle l’identité, au bout du compte, n’a aucune importance. S’il fallait résumer sa philosophie, on dirait que, si on ne peut pas jouir du tout, on peut jouir de tout. Mais, bien sûr, pas avec n’importe qui.[/access]
Pour acheter ce numéro cliquez ici
Pour s’abonner à Causeur cliquez ici
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !