La blogosphère d’hier est morte. Elle a été tuée par des agences de buzz qui ne considèrent pas le blogueur comme un individu non professionnel qui tient un « carnet web » par plaisir, envie de partager ou d’en découdre, mais comme un linéaire de supermarché de proximité. Aujourd’hui, une nouvelle blogosphère capricieuse prend corps. Elle est le haut de gamme de l’influence digitale, et, pour les annonceurs, l’un des territoires de la nouvelle tendance : le bespoking, autrement dit le marketing sur mesure conçu pour chaque blogueur, comme il le serait pour un média traditionnel.
Plutôt poules de luxe que vaches à lait : cette fronde est une réplique à des campagnes de buzz, souvent orchestrée par des micro-agences qui croient découvrir un eldorado à efforts et à prix « dumpés ». Le mail d’approche envoyé au blogueur commence en général par : « J’aime beaucoup ce que tu écris sur ton blog. » Le contre-buzz se met alors en marche (il suffit pour cela que deux blogueurs comparent les courriers qui disent à chacun, dans les mêmes termes, à quel point il est unique). Ce genre d’opérations d’intelligence marketing n’aboutit qu’à donner du travail aux sociétés de gestion de crise.
Reste à savoir ce que va devenir la blogosphère si docile à relayer les messages standardisés des agences de buzz. Promue ces deux dernières années comme le phénomène de mode, la solution incontournable à toute opération de communication, la blogosphère telle qu’on a pu la connaître est morte de s’être laissée berner par ces agences non humaines. Revenus des régies qui ne payent plus autant qu’avant, les blogueurs veulent aujourd’hui en finir avec la soumission aveugle aux agences. La révolte gronde. Dans ces conditions, si elles veulent continuer à toucher les internautes, les marques vont devoir se détourner de ces agences pour « causer meilleur » à « la blogosphère libérée ». Le blogueur attend plus. Il demande de l’expérience, de l’échange, de la rencontre. Au fond, le blogueur veut qu’on l’aime. Il ne se situe pas dans une relation professionnelle, même s’il utilise parfois tous les leviers de la professionnalisation. Le blogueur demande du sur-mesure, faute de quoi il ne peut que rejeter des campagnes qui ne lui correspondent pas. La bespokingmania est l’expression de cette mutation de la blogosphère. « Pourquoi me contenterais-je d’un discours en série, identique pour tous les blogueurs ? Si une marque bénéficie de ma plume ou de ma caméra, si elle veut que je m’engage pour elle, elle doit me traiter différemment et en somme m’aimer » – voilà ce que dit le nouveau blogueur.
Il n’est pas certain que ce marketing sur mesure soit adapté aux autres territoires de la planète digitale (forum, réseaux sociaux…). La mécanique de la communication suppose peut-être de considérer la blogosphère comme le levier luxueux (car nominatif) d’une stratégie d’influence. Comme dans les grandes maisons de luxe, il y a un cérémonial de vente à respecter. Si elles veulent que les blogueurs intègrent au mieux les messages publicitaires, les agences vont devoir apprendre à traiter avec des individus plutôt qu’avec des troupeaux.
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