Les parents racontent vraiment n’importe quoi à leurs enfants : ce n’est pas fonctionnaire qu’il faut faire, mais banquier. Banquier international. En matière de rentabilité et de sécurité, croyez-moi, il n’y a rien de mieux : les profits, vous les gardez ; les pertes, vous les partagez. Et en cas de grosse, grosse boulette, la sauvegarde de votre affaire deviendra cause nationale. Et même internationale.
On vient ainsi d’annoncer à l’opinion américaine qu’elle contribuera, via l’impôt, au sauvetage d’un secteur bancaire au bord de l’effondrement pour avoir pris des risques inconsidérés. C’est cela, nous dit l’inénarrable George W. Bush, ou bien alors l’extension de la crise. Comme en 1929.
Difficile à avaler. Pour le démocrate, bien sûr, qui se souvient que des deux côtés de l’Atlantique, on fit des révolutions pour contrôler l’impôt – son calcul, sa levée, son affectation. Or voici qu’un Président sur le départ décrète que de l’argent public – pour la somme de 700 milliards de dollars ! – viendra réparer l’imprudence et l’incompétence de ses amis banquiers… Le libéral a lui aussi du mal à déglutir : voilà une profession de zozos à Black Berry, qui brame son nietzschéisme à longueur d’année (« La mondialisation, c’est chacun pour sa gueule ! T’as vu mon gros bonus !? ») et vient, toute honte bue, couiner dans les jupes de l’Etat et implorer l’impôt salvateur ! Impardonnable faiblesse des pouvoirs publics, hier dans l’encadrement, aujourd’hui dans le châtiment : dans la banque, bien davantage que dans la fonction publique, on saura désormais que l’on peut faire à peu près n’importe quoi.
Car non seulement l’Etat va contribuer à sauver de la faillite une corporation tragiquement nulle, mais il semble même décidé à empêcher que d’autres agents économiques la « massacrent », comme on dit dans le jargon des traders. Depuis ce lundi, en effet, la vente à découvert des valeurs financières a été interdite partout en Occident pour « au moins trois mois ».
La vente à découvert ? Le principe est simple : gagner de l’argent sur une action qui s’effondre. Vous estimez qu’une entreprise est mal gérée, corrompue, rudement concurrencée, bref que son cours va baisser et vous décidez de vendre un paquet de ses actions pour profiter de sa dégringolade en bourse. Vous cédez mille actions (que vous n’avez pas) à 100 euros, en vous engageant à les livrer à la fin du mois (ou « liquidation », en franco-boursier). Le moment venu de la livraison de ces actions à leur acheteur, vous vous empressez de les acquérir : comme vous aviez vu juste, leur cours a plongé et vous les ramassez à 33 euros… Les sociétés en difficulté redoutent évidemment plus que tout la vente à découvert, qui est souvent pour elles le signal d’un cycle infernal : la défiance pousse à la vente, la vente à la baisse des cours, la baisse des cours à la vente, etc. Mais voilà, désormais, la vente à découvert étant interdite pour les valeurs « financières » américaines et européennes, elles seront protégées contre tous ceux qui anticipent leur baisse. Un système bancaire non plus seulement à l’abri de la banqueroute mais aussi de la spéculation : amusant, non ?
Stimulant, tout compte fait. Car il nous faut exiger que ce système rassurant et confortable soit étendu à toutes les professions, à tous les états, à toutes les situations. Pour ma part, et pour lancer le concours, je propose donc la mesure suivante : à compter de ce jour, il sera légalement interdit de spéculer à la baisse sur la valeur de mon appartement ; le jour venu, son prix de vente ne pourra être qu’égal ou supérieur à son prix d’achat (en euros constants) ; et comme il en va de la pérennité de mon système financier personnel, le défaut d’acheteur sera pallié par l’intervention de l’Etat.
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