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Il y a des morts qui sont plus belles que la vie

"Viva la Muerte", de Benoît Rayski (Éditions Saint- Honoré, 2022)


Il y a des morts qui sont plus belles que la vie
L'essayiste Dominique Venner (1935-2013). D.R.

Le 21 mai 2013, en plein débat au sujet du mariage pour tous, Dominique Venner, essayiste et militant politique français classé à l’extrême droite, se donnait la mort devant le maître-autel de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Il voulait, par ce geste, alerter sur le déclin français…


Venner n’était pas très catholique. Aussi, s’il choisit la célèbre cathédrale parisienne pour recueillir son dernier souffle, c’est parce qu’il s’agissait d’un lieu emblématique du patrimoine français. Et surtout, parce que le monument chrétien aurait été érigé à l’emplacement d’un temple gallo-romain datant du premier siècle et dédié à Jupiter. Son parcours et ses sympathies avec l’ultra-droite sentent souvent le soufre.

« Je me donne la mort pour réveiller les consciences assoupies »

Dominique Venner entendait, en effet, mettre en action (française) la formule de Charles Maurras: « Nous devons être intellectuels et violents ». Il soutint activement le putsch des généraux puis fonda un mouvement d’extrême-droite avant de devenir un auteur infréquentable pour son époque.

Pour se convaincre de cette infréquentabilité, il suffit de lire l’œuvre testamentaire de Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. On y retrouve tous les dogmes de l’auteur : la dénonciation du christianisme qui pousse à une contrition délétère, la louange d’illustres homosexuels « reines ou grands seigneurs », ce qui ne l’empêche pas d’exécrer l’idée du mariage pour tous. Il affirme la nécessité de la guerre qui « donne du sens et de la poésie à une société », et explique sa dévotion à la Nature. Il professe la tradition comme futur et clame enfin son dégoût pour son contemporain au « nihilisme flasque », à « la laideur envahissante », envoûté par « l’utopie d’une intégration multiethnique ».

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La gauche, qui le haïssait, n’en craignait pas moins ce personnage baroque, spécialiste du monde de la chasse et des armes, ami de François de Grossouvre. Frédéric Mitterrand, lui-même, avait pour lui « une sympathie lointaine mais intime », selon un article paru dans l’Express.

Benoît Rayski ignorait tout de Dominique Venner avant que les journaux ne relatent son geste et le parcours de vie qui le précéda. Toutefois le choix que fit cet admirateur de Mishima, « entrer dans la mort les yeux ouverts » (pour reprendre la dernière phrase des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar), afin d’ouvrir ceux des autres sur la mort annoncée de la France, lui inspira un certain respect. « Aucune des idées de Dominique Venner n’était mienne. Mais (…) Venner aimait la France, Atlantide disparue, rêvée, idéalisée. Moi aussi. »

Portrait croisé de deux amoureux de la France

Ainsi naquit l’idée d’un essai consacré à cet homme singulier que l’auteur n’aurait jamais dû rencontrer : « On dit que les lignes parallèles ne se croisent jamais. La géométrie est une science exacte. Mais, parfois elle s’égare car, aveugle et sourde, elle est incapable de capter les battements du cœur. Celui de Venner s’est arrêté le 23 mai 2013. Le mien s’est alors mis en route. Et nos parallèles se sont croisées. »

Cet essai, concis et écrit dans une langue aussi lapidaire qu’incisive, donne à voir deux Français que tout oppose, l’un païen aux idées sulfureuses, l’autre, juif et bercé dans une culture communiste dont il est revenu : « Venner avait raison de haïr le communisme. Une utopie du bien dont la finalité fut un épouvantable cauchemar. Moi, dès mon plus jeune âge, j’avais appris à voir la vie en rouge. Où était ma faute ? » Ces hommes, pourtant, sont tombés d’accord sur la réalité d’un crépuscule qui assombrit peu à peu la France et l’Europe.

C’est aussi la grandeur passée de la civilisation française et plus largement européenne que célèbre cet ouvrage, sans faire de concessions à la violence et aux cruautés qui jalonnèrent leur histoire. On y croise les acteurs de l’Histoire, parfois sanguinaires, et ses victimes, hâves et décharnées injustement tombées pour que « le vaste monde poursuive sa course folle ».

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La guerre, souvent évoquée, est toujours sale : « La seule guerre que Venner eût connue, c’était la guerre d’Algérie (…) Elle fut affreuse et laide, des deux côtés. »

On côtoie également, dans cet essai, des héros comme Olga Benário, militante communiste à la vie aventureuse, victime des nazis, ou Rathenau, le ministre des Affaires étrangères de la République de Weimar. Jugé clairvoyant et juste, par ses ennemis, il n’en fut pas moins assassiné.

Mais surtout, alors qu’il nous découvre Dominique Venner, c’est lui-même que Benoît Rayski dévoile en contrepoint. L’auteur de Viva la Muerte rend compte de leurs élections littéraires respectives ; celles qui les forgèrent, eux, et leur rapport à l’Histoire ; celles qui nourrirent leurs écrits. On a noté : Les Réprouvés d’Ernst von Salomon pour Venner, Le Coup de Grâce de Marguerite Yourcenar pour Benoît Rayski.

Sont largement évoqués, alors, les rapports à l’histoire contemporaine de ceux qu’on pourrait presque qualifier de personnages d’un récit que serait Viva la Muerte : « Comme Venner, j’ai une passion pour les héros de la Commune de Paris. Lui, parce qu’il voyait dans cette insurrection, le génie combattant du peuple dont il ne désespérait pas qu’un jour il fraternise avec l’aristocratie. Moi parce que, naïvement, je pensais que le peuple était depuis toujours et pour toujours le seul Christ rédempteur qui vaille ».

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Dans Viva la Muerte, Benoît Rayski fait une déclaration d’amour à la France et à son histoire qu’il convient de célébrer, quelle qu’elle soit: « La France c’est une comptine : Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry, Vendôme… C’est tout ce qui restait au roi de France quand les Anglais avaient tout pris. (…) La France, c’est Barrès avec sa Colline inspirée et le dreyfusard Charles Péguy. » Nos deux devisants, le temps d’un livre, fraternisent autour de l’idée de la France comme celle d’un foyer qui constituerait un refuge pour les siens.

Plus largement, c’est à l’Occident déclinant et attaqué dans ses valeurs par le wokisme, le mondialisme et autres inventions modernes de mauvais aloi, que l’auteur déclare sa flamme, tout comme l’avait fait Venner, à sa façon : « L’héritage occidental est d’une richesse sans pareille. Tels sont les avantages de la diversité. Un très beau mot, si on veut bien considérer qu’il ne concerne pas que le 93. »

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est professeur de Lettres modernes

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