On sait que les conditions de travail dans la grande distribution relèvent de plus en plus du parcours du combattant. On s’étonnera d’ailleurs, à quelques rares exemples, du peu de pugnacité de la part d’employés qui ne sont pas soumis au chantage de la délocalisation mais acceptent la dégradation de leurs conditions de travail au quotidien[1. Allant des douceurs du temps partiel imposé au remplacement par des caisses automatiques.]. Celles qui les renvoient chaque jour un peu plus à cette « obsolescence de l’homme » dont parlait Günther Anders dès l’après-guerre dans un monde de plus en plus mécanisé. Ainsi, la caissière, pardon, l’hôtesse de caisse, ne se rend pas toujours compte de son pouvoir de nuisance potentiellement aussi fort que celui d’un agent de sécurité dans un aéroport.
Or, la grande distribution prend des allures de vitrine sociale si on la compare à la restauration rapide. Le fast-food, on le sait, est la providence des étudiants pauvres et des mères célibataires sans diplômes. On commence à y manger parce que c’est pas cher et on finit dans les cuisines à fabriquer à la chaîne du cheese burger accompagné d’un Coca XXL.
Mais la grande distribution et la restauration rapide ont en commun de réaliser des bénéfices colossaux – notamment en pressurant le plus possible le coût du travail – tout en voulant qu’on les aime. Du coup, ils se présentent dans de nombreuses campagnes de communication comme des « acteurs citoyens », créant du « lien social. » Qui a vu les gens un samedi après-midi faire leur course loin des centres villes dans des zones commerciales ou une bande de jeunes manger dans un fast-food comprend l’ironie de la chose, pour ne pas dire son hypocrisie antiphrastique.
Comme le droit de grève est de fait impossible à exercer dans le secteur privé, et que si par hasard il l’est, on envoie la police car il ne manquerait plus qu’une grève gêne, il reste la Justice. Les dernières décisions favorables aux salariés ces derniers temps ont la plupart du temps été le fait des tribunaux. Que des magistrats soient les derniers remparts du droit du travail devrait peut-être nous interroger sur la qualité du dialogue social qui fut pourtant, à une époque le socle idéologique de François Fillon. En l’occurrence, le droit vient d’être dit par le tribunal des Prud’hommes de Guingamp dans une affaire emblématique mais traitée cependant avec une grande discrétion médiatique. Une ancienne directrice d’un restaurant franchisé Mac Donald vient d’être indemnisée à hauteur de 125 000 euros au titre d’heures supplémentaires impayées et 130 000 euros au titre de journées de congés compensatoires. 250 000 euros, à ce niveau, c’est un record.
C’était pourtant une belle histoire, une success story telle qu’aime à la raconter l’enseigne au Clown, qui se vante par ailleurs d’embaucher 80% de CDI. Seulement, l’employeur de la salariée en question, qui a la franchise de quatre MacDo en Bretagne, avait dû l’oublier. Embauchée en 99, devenue directrice entre 2006 et 2010, cette salariée d’après les représentants syndicaux CFDT[2. Qui ne sont pas des voyous bolchéviques] aux Prud’hommes, « était soumise à des pressions énormes et se trouvait sous l’emprise totale, ne réalisant même pas ce qui lui arrivait »
Ce qui est une assez bonne définition de ce que l’on appelait autrefois, en termes marxistes, l’aliénation. Et il faut croire que ça existe, l’aliénation : la preuve, ça peut coûter un quart de million d’euros à un employeur.
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