Les émeutes d’Amiens ont avancé la rentrée politique. Des violences urbaines ont en effet frappé les quartiers Nord de la ville dans la nuit du 13 au 14 août dernier. Le bilan fut lourd : des millions d’euros de dégâts, une école maternelle brûlée, 17 policiers blessés. Plus grave, on a aussi constaté des tirs au fusil de chasse contre les forces de l’ordre. Hasard du calendrier, ces quartiers venaient d’être déclarés « zone de sécurité prioritaire » quelques jours plus tôt.
Divers commentateurs ont voulu comprendre l’événement en ressortant la bonne vieille excuse sociale. Ces violences devraient ainsi être expliquées voire excusées par la situation sociale de leurs auteurs au détriment des responsabilités individuelles. Avant d’être des délinquants, les émeutiers sont des jeunes désœuvrés. Brûler une école maternelle ne serait alors qu’une réponse à un système qui les exclut.
Sur le site de L’Express, l’inénarrable sociologue Laurent Mucchielli, affirme sans rire : « Cela n’a rien d’un jeu pour les jeunes qui y participent (aux émeutes, NDLR). Il s’agit d’un cri de rage et de colère. Contre le chômage qui n’a jamais été aussi élevé. Contre l’échec scolaire également qui atteint dans les quartiers défavorisés des taux énormes ». Chez Médiapart, on rappelle les précédentes émeutes qui ont frappé le quartier depuis 18 ans et on souligne les « réalités immuables » : « Le taux de chômage était de 33 % en 1990 dans la zone urbaine sensible d’Amiens-Nord ; de près de 40 % en 1999. Il se situerait aujourd’hui encore autour de ce chiffre de 40 % ».
Dans Le Monde, Cindy Leoni, présidente de SOS Racisme, souligne le « terreau hautement inflammable des quartiers populaires », dénonçant la « stigmatisation » des jeunes de banlieue et le « taux de chômage deux fois plus élevé que sur le reste du territoire national ». Son prédécesseur Dominique Sopo écrit dans Libération : « Les émeutes d’Amiens ne posent d’ailleurs pas de réalité qui ne soit déjà connue (…). Une étincelle qui part d’une tension avec la police nationale et des jeunes frappés par le chômage et le désœuvrement qui incendient des équipements publics (…) ».
Toujours dans Libé, Sylvain Bourmeau, directeur adjoint de la rédaction, lance une adresse à la gauche : « Qu’elle renoue avec ses principes et la priorité absolue au social. Qu’elle démontre clairement que le réalisme se situe du côté de ceux qui jamais ne cherchent à attiser les peurs en confondant, par exemple, insécurité et sentiment d’insécurité ».
Pour cette gauche bobo, les émeutiers sont donc devenus la nouvelle avant-garde révolutionnaire quand l’honnête ouvrier ne serait plus qu’un réac lepéniste. En 2005, la gauche radicale parlait même de « révolte des quartiers populaires » pour évoquer les violences urbaines. A croire que Karl Marx est un auteur en vogue chez les voyous de banlieue.
Au PS, on a au contraire voulu éviter les accusations d’angélisme. François Hollande a appelé à mobiliser « tous les moyens de l’Etat » contre les violences. Lors de l’université d’été de la Rochelle, Manuel Valls, très applaudi par ses camarades, a lancé : « Je ne crois pas à la démarche oui à la sécurité mais d’abord l’emploi, oui à la sécurité mais d’abord la prévention ».
Les socialistes reviennent de loin. En mars 2002, Jospin admettait sa « naïveté » en ayant cru que la baisse du chômage ferait reculer l’insécurité. En 2005, Arnaud Montebourg comparait les émeutes urbaines aux « jacqueries » et à la « révolte des Canuts » validant ainsi la thèse de la révolte sociale. Et une semaine à peine avant les violences d’Amiens-Nord, Christiane Taubira, ministre de la Justice, voulait « arrêter » avec les courtes peines et remettre en cause le doublement des centres éducatifs fermés.
La thèse de l’excuse sociale n’a donc pas totalement disparue. Pour démonter cette théorie fumeuse, il suffit pourtant d’aller… à Amiens. La ville comporte en effet deux autres ZUS (zone urbaine sensible) en plus des quartiers Nord : Etouvie à l’ouest (36% de chômage) et les quartiers Sud-est (27% de chômage). Avec une situation sociale aussi difficile qu’Amiens-Nord, ces ZUS ont paradoxalement été peu touchées par les dernières émeutes et ont, sans être calmes, une meilleure réputation (ou une moins mauvaise, c’est selon).
Cette différence vient d’abord de la démographie. « Amiens-Nord, c’est 15 000 habitants, Etouvie 8000 » explique Brigitte Fouré (Nouveau Centre), élue municipale depuis 1989 et maire de 2002 à 2007. D’où de plus fortes dynamiques de groupes. On n’hésite moins à suivre la masse et ses meneurs quand les effectifs sont plus nombreux.
Mais il y a aussi une explication historique. En novembre 1994, de violentes émeutes secouent les quartiers Nord. En cause, des CRS ayant eu la main un peu lourde sur le gaz lacrymogène. Depuis, « il y a une histoire avec les CRS », confirme Brigitte Fouré. C’est cette tension permanente qui a amené le classement d’Amiens-Nord en ZSP. A l’inverse, l’ambiance serait meilleure avec les gendarmes mobiles, pendant militaire des CRS.
Alors la faute à qui ? A des CRS trop provocants ? Mais à Amiens Nord, « tout devient prétexte pour en découdre avec la police » selon Emilie Thérouin, adjointe (Europe-Ecologie) au maire d’Amiens chargée de la sécurité.
D’ailleurs, l’origine des émeutes d’août paraît bien futile. Pour la presse nationale, tout serait parti d’un contrôle policier houleux. Le dimanche 12 août vers 23 heures, un jour avant le début des émeutes, une famille se recueille après le décès d’un jeune dans un accident de moto. Un peu plus loin, la BAC contrôle un automobiliste roulant à contre-sens. La famille endeuillée vient s’opposer au contrôle, la tension monte, les CRS interviennent et la police doit user de gaz lacrymogènes et de flash-balls pour se dégager. Bilan de la bagarre : 4 CRS blessés. La famille en question a protesté dans les médias accusant la police de violences injustifiées. Un incident qui aurait alors révolté les jeunes du quartier.
Mais ces violences ont visiblement été préparées bien avant ce fameux contrôle. Selon Le Courrier Picard, une voiture est venue livrer des émeutiers en mortiers dès 20h30 soit près de deux heures et demi avant l’incident. Et « la tension couvait depuis début août », ajoute Emilie Thérouin.
La thèse des jeunes désœuvrés en révolte contre la société ne se vérifie donc pas. Un misérabilisme qui nie une évidence : si les coupables de violences urbaines sont issus des classes populaires, c’est aussi le cas de leurs victimes. A Amiens, on a brûlé des voitures d’ouvriers et de femmes de ménage, on a privé des enfants d’immigrés de leur école, mais Mucchielli et Bourmeau ne s’intéressent qu’aux émeutiers. Ils croient que les émeutes sont une conséquence des inégalités sociales alors qu’elles ne font que les aggraver. Les plus pauvres perdent leurs rares biens et leurs quartiers deviennent de plus en plus ghettoïsés. La « stigmatisation » des cités sensibles vient plus des réactions à ces violences que d’un supposé racisme atavique de la société française.
« C’est malsain de chercher des excuses », estime Emilie Thérouin. D’autant plus que la pauvreté ne concerne pas que les grands quartiers urbains gangrénés par la délinquance. A ce sujet, l’adjointe au maire cite Fractures Françaises, le livre de Christophe Guilluy « qui met les pieds dans le plat » au sujet des inégalités dans les milieux ruraux et périurbains, sans bénéficier de la même attention politique et médiatique. La Somme, département industriel et rural, est au cœur de ses problématiques avec une précarité qui sévit aussi dans les villages et petites villes.
En cela, la Somme possède un taux de chômage équivalent à celui de la Seine-Saint-Denis (12%) mais, au delà du cas d’Amiens-Nord, les taux de délinquance y sont totalement différents. Selon l’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales, en 2011, on comptait 28,4 atteintes aux biens pour 1000 habitants dans la Somme contre 59,7 dans le 93. Pour les atteintes aux personnes , on relevait 8,3 actes pour 1000 habitants dans la Somme contre 20,7 dans le 93. Même situation dans l’Aisne, toujours en Picardie. On y constate un chômage plus fort que dans le 93 (14,1%) mais une délinquance beaucoup plus faible (25 atteintes aux biens et 8,7 atteintes aux personnes pour 1000 habitants). Des chiffres que ne citent pas Bourmeau et consorts.
L’insécurité est donc bien un problème en soi. Mais dix ans après la « naïveté » de Jospin, on trouve encore des chercheurs au CNRS et des directeurs adjoints de rédaction pour parler de « sentiment d’insécurité » et ressortir la bonne vieille excuse sociale. Ces « naïfs » se croient de la « vraie » gauche mais cautionnent la loi du plus fort et la défaite de l’Etat au détriment des plus démunis. Cette « naïveté » a coûté cher à Lionel Jospin. Libé n’a qu’à bien se tenir.
*Photo : philippe leroyer
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