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Le confinement n’a pas fait exploser les violences conjugales

Une fois n'est pas coutume, Causeur se lance dans la "désinfox"


Le confinement n’a pas fait exploser les violences conjugales
Marlène Schiappa visite une permanence d'accueil dédiée aux victimes des violences conjugales à Ivry, 26 mai 2020 © ISA HARSIN / SIPA

 


Martelée par les associations féministes et l’Etat, l’idée selon laquelle la promiscuité a fait exploser les violences familiales ne repose sur aucun chiffre solide. Quoi qu’en dise Marlène Schiappa, le gouvernement le sait depuis le début.


On l’avait annoncé et c’est maintenant une certitude : pendant le confinement, les violences conjugales ont explosé. Dès la fin mars, Marlène Schiappa le disait sur Europe 1 : « En une semaine, il y a plus 32 % de signalements de violences conjugales en zone gendarmerie et plus 36 % dans la zone de la préfecture de police de Paris. » Le 19 avril, en visioconférence sur BFM TV, la secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes donne des chiffres encore plus effrayants : « Les signalements augmentent, les plaintes augmentent. Sur la plate-forme arretonslesviolences.gouv.fr, qui est disponible 24 heures sur 24, les signalements ont été multipliés par cinq. » Sur l’écran, pendant qu’elle parle, on voit défiler ce titre choc : « Violences conjugales, l’enfer du confinement ».

Le problème est qu’à cette date, Marlène Schiappa ne dit pas la vérité, et qu’elle le sait. Chaque semaine depuis mi-mars, le ministère de l’Intérieur publie sa note « Interstats conjoncture ». Les violences conjugales n’existant pas comme catégorie statistique, à partir de la mi-avril, dans un louable souci de transparence, la note détaille les violences intrafamiliales (sur conjoints, concubins et parents, y compris les enfants de plus de 15 ans), ordinairement traitées pêle-mêle avec les autres violences aux personnes.

Or, c’est le point crucial, d’après Interstats conjoncture, les violences intrafamiliales n’ont pas augmenté pendant le confinement. La première semaine, elles ont franchement baissé. Elles se sont ensuite situées à un niveau certes trop élevé (plus de 2 000 affaires par semaine), mais tout à fait comparable à celui de la même période en 2019. Ce qui se cache derrière la « multiplication par cinq » des signalements est très simple : la plate-forme « Arrêtons les violences » et le numéro dédié 3919 étaient très peu connus. Le gouvernement a choisi de communiquer massivement autour d’eux, déclenchant une vague d’appels. Pendant la semaine du Grenelle des violences conjugales, déjà, en septembre 2019, le 3919 avait reçu trois fois plus d’appels qu’à l’ordinaire (5 766 contre 1 500 à 2 000 habituellement).

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Les faits dûment constatés sont déjà un indicateur fragile, mais quel service de sécurité sérieux prendrait les « signalements » comme un thermomètre fiable ? Un accident de la route signalé par dix automobilistes ayant vu une voiture dans le ravin est-il égal à dix accidents et dix voitures dans le ravin ? Rappelons qu’en 2019, après huit ans de cavale, Xavier Dupont de Ligonnès était « signalé » à Glasgow…

Contactée par Causeur, la Préfecture de police de Paris se refuse à toute déclaration officielle. Un fonctionnaire affirme qu’il « ne commente pas la communication du gouvernement », mais confirme en off que les violences intrafamiliales ont baissé à Paris pendant le confinement ! « Il y a eu une hausse des signalements. Les appartements parisiens sont souvent mal insonorisés. Les gens étaient cloîtrés. Ils entendaient des disputes chez les voisins. Ils appelaient la police. » Les policiers se rendaient sur place et tombaient sur de banales querelles de ménage. Loyal, le fonctionnaire souligne que Marlène Schiappa a seulement parlé d’une hausse des « signalements » à Paris la première semaine. C’est exact pour sa première intervention sur le sujet fin mars, mais la secrétaire d’État a ensuite parlé d’une hausse des plaintes, voire d’une explosion, tout comme son collègue de l’Intérieur, Christophe Castaner.

Il faut saluer l’intégrité des statisticiens de la note Interstats conjoncture. Il y avait manifestement des points de carrière à marquer en torturant les chiffres, jusqu’à leur faire avouer la hausse des violences intrafamiliales annoncée.

Le préfet du Morbihan, Patrice Faure, a mieux senti le vent. Le 17 avril, il a interdit les ventes de spiritueux dans son département, invoquant une hausse des violences intrafamiliales sur fond d’alcoolisation… Onze jours plus tard, il abrogeait l’arrêté, affirmant avoir obtenu des résultats spectaculaires. Mais encore ? La préfecture du Morbihan, que nous avons contactée, ne fournit pas ses chiffres. Tout porte à croire qu’ils ne montrent ni une augmentation initiale des violences, ni une décrue nette suite à la prohibition (si c’était le cas, du reste, pourquoi autoriser à nouveau les alcools forts ?). L’arrêté a été pris simplement pour flatter les certitudes ministérielles.

Une idée s’est imposée, permettant de dépasser la contradiction. Les victimes, coincées par leurs bourreaux, n’osent pas se manifester

En réalité, il s’agit d’aller dans le sens du courant dans lequel sont emportés Christophe Castaner et Marlène Schiappa. Le gouvernement a été encouragé, aiguillonné et relayé par les associations de défense des femmes et par nombre d’élus locaux. Le 18 mai, Hélène Bidard, adjointe communiste à la Mairie de Paris chargée de l’égalité femmes-hommes, annonce sur Twitter une hausse de 32 % des subventions aux associations de lutte contre les violences faites aux femmes (le montant global atteignant 500 000 euros en 2020), « dans un contexte de violences exacerbées avec le confinement » !

En avril, on voit fleurir sur Twitter un nouveau hashtag, #coronaviril. La pandémie aurait réveillé les pires instincts phallocrates. Il est relayé par la députée LFI Clémentine Autain, Manon Aubry, Aurore Lalucq, députée européenne Place publique, Claire Monod, coordinatrice nationale de Générations, etc.

Médias perplexes

Les médias, quant à eux, ont abondamment diffusé la thèse gouvernementale et associative de l’explosion des violences conjugales, entrecoupée de reportages de terrain qui la démentaient ! Fin mars, interrogés par France Inter, les parquets de Paris, Bobigny, Pontoise, Nanterre, Créteil, du Gard et de l’Oise ne constatent aucune augmentation des dossiers de violences conjugales depuis le début du confinement. Dans le Doubs, écrit L’Est républicain du 2 avril, « la police a enregistré trois fois moins de plaintes liées aux violences intrafamiliales qu’en mars dernier. Le constat est identique en zone gendarmerie ». Quant aux gendarmes du Nord, raconte France Bleu le 7 avril 2020, ils « n’ont pas constaté, pour le moment, de hausse des signalements de faits de violences conjugales ». Dans le Finistère, indique Ouest-France, elles sont en baisse en mars, en zones police et gendarmerie. Rien à signaler non plus à Dieppe, selon Paris-Normandie. Sur Bordeaux Métropole et Arcachon, lit-on sur Rue89 Bordeaux, les interventions de la police pour violences familiales sont en hausse de 25 % la première semaine du confinement par rapport aux semaines précédentes, mais les chiffres sont modestes : 55 interventions contre 44 en moyenne. Il faut chercher longtemps pour trouver une vraie explosion : plus 83 % de violences intrafamiliales dans la zone gendarmerie de Haute-Garonne sur la période allant du 17 mars au 5 avril, par rapport à la même période de 2019. Une hausse considérable, mais avec un bémol. II est question de moins d’une trentaine d’affaires.

Des victimes muettes ?

Une explosion des violences et une baisse des indicateurs… Une idée s’est imposée, permettant de dépasser la contradiction. Les victimes, coincées par leurs bourreaux, n’osent pas se manifester. Telle est la théorie avancée par Nice-Matin le 30 mars, sous le titre « Face à une baisse troublante des signalements pour violences conjugales, l’inquiétude grandit chez des professionnels ». Dans les Alpes-Maritimes, les appels mensuels pour violences intrafamiliales sont alors en recul de 20 % en zone gendarmerie et de 40 % en zone police par rapport à mars 2019.

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Cette thèse de la parole muselée va resurgir à maintes reprises. Elle semble pleine de bon sens, mais le bon sens est parfois trompeur. L’impact du confinement ne doit pas être exagéré. Entre mi-mars et mi-mai, 25 % des actifs français sont allés au travail comme d’habitude. Pour une autre partie de la population, retraités vivant à la campagne, personnes travaillant toute l’année en couple ou à domicile, les mesures de distanciation sociale n’ont pas beaucoup changé la donne conjugale. Même chez les confinés purs et durs, le choc de la promiscuité est à relativiser. Chacun pouvait sortir une heure par jour, voire deux, entre les courses et la promenade, ce qui est largement suffisant pour passer un coup de fil ou se rendre au commissariat.

Le 15 mai encore, pourtant, l’enquête de la cellule investigation de France Inter évoque l’impossibilité de porter plainte pour expliquer l’information qui ne cadre pas avec le discours ambiant : pendant le confinement, une baisse de 20 % des plaintes pour violences intrafamiliales dans le Val-d’Oise par rapport à la même période 2019…

Quand ça monte, ça monte, et quand ça baisse, ça monte

Tout cela fleure franchement la statistique Shadock. Une hausse des indicateurs signifie une recrudescence des violences, une baisse aussi. Au motif qu’une association d’aide aux femmes du Havre, Avre 76, reçoit moins d’appels qu’à l’accoutumée, le gouvernement met en place des points d’accueil pour femmes battues dans certains supermarchés ! Elles ne peuvent pas sortir de chez elles, elles ne peuvent pas se rendre à la police ni passer un coup de fil, mais elles parleront dans des recoins de galeries marchandes. Sans surprise, ces points d’accueil semblent avoir connu un succès très mitigé.

Paris, 11 mai 2020 © Marie Magnin / Hans Lucas / AFP
Paris, 11 mai 2020 © Marie Magnin / Hans Lucas / AFP

Il est encore trop tôt pour dresser le bilan définitif de leur action, comme il est encore trop tôt pour savoir combien de femmes auraient dû porter plainte pendant le confinement et ne l’ont pas fait, pour diverses raisons. Il y en a sans doute eu, mais rien ne permet d’affirmer qu’elles ont été plus nombreuses que d’habitude.

Deux semaines après le retour partiel à la normale, une chose est sûre : l’« explosion » des violences faites aux femmes n’a pas eu lieu. On devrait se réjouir, mais c’est comme à regret que, le 20 mai, Marlène Schiappa elle-même a admis que, de mi-mars à mi-mai, le nombre de meurtres de femmes pourrait avoir baissé par rapport à la même période en 2019. Ou comment un gouvernement en vient à donner du bout des lèvres les nouvelles rassurantes. Rassurantes, du moins, quant à l’état réel des relations familiales dans notre pays. En ce qui concerne la capacité d’analyse et de recul des associations, en revanche, le constat est préoccupant. Quel est leur degré exact de compréhension du phénomène qui est leur raison d’être ? Depuis le Grenelle de septembre 2019, les forces de l’ordre ont été fortement incitées à se pencher sur les violences conjugales. Il y a eu des visites-mystères (une sorte de « testing ») pour jauger la qualité de l’accueil en commissariat. La gendarmerie a créé plusieurs brigades spécialisées début 2020. Bref, les conditions techniques d’une augmentation statistique étaient réunies, comme c’est toujours le cas quand on améliore les indicateurs.

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Voici que des données fiables suggèrent que le confinement s’est traduit au contraire par une stabilité, voire une baisse, que personne n’a cherché à comprendre. Et si la violence du monde du travail, atténuée pendant quelques semaines, rejaillissait parfois sur la vie de famille ? Simple spéculation, mais l’idée d’une violence masculine atavique, massivement répandue, est-elle plus solide ? La sphère associative y croit. Elle donne le ton au politique. Ce dernier s’aperçoit-il seulement qu’il a enclenché la marche arrière conceptuelle ? Il y a un siècle et demi, socialistes et radicaux en lutte contre la misère humaine s’agaçaient du paternalisme condescendant des philanthropes qui cherchaient la racine du mal exclusivement dans la nature humaine et le remède dans les sermons. Pour les féministes d’aujourd’hui, tout le mal vient de la nature masculine et le remède est toujours dans les sermons. Marlène Schiappa veut-elle vraiment finir en dame patronnesse ? Causeur aurait aimé lui poser la question, mais, malgré plusieurs sollicitations, elle n’a pas trouvé le temps de répondre.

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Juin 2020 – Causeur #80

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste

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