L’affaire des violences intercommunautaires à Montpellier doit enfin tirer la sonnette d’alarme et briser nos illusions quant au grand récit progressiste du vivre-ensemble. Les tensions entre différentes communautés issues de l’immigration restent fortes et même s’exacerbent.
Si la couverture médiatique des évènements était proportionnelle à leur importance réelle pour ceux à qui les médias s’adressent, les violences qui se sont produites la semaine dernière à Montpellier auraient sans doute dû éclipser toutes les autres nouvelles. Bien loin devant la coupe du monde de football ou même la guerre en Ukraine.
Tout a commencé mercredi, à l’issue du match entre la France et le Maroc. Dans le quartier de la Mosson – un quartier dit « populaire », c’est-à-dire où vit une très forte communauté d’origine maghrébine, principalement marocaine – une voiture a le malheur d’arborer un drapeau français. Aussitôt le véhicule est encerclé par une vingtaine de « jeunes », qui tentent d’arracher le drapeau. Pris de panique, le conducteur démarre précipitamment et, dans sa fuite, renverse et tue Aymen, un mineur de 14 ans d’origine maghrébine.
La voiture est rapidement identifiée comme appartenant à une personne issue de la communauté des gens du voyage, et aussitot les représailles s’organisent. Dès le mercredi soir, un homme est tabassé à coups de barre de fer par une vingtaine de personnes, qui le prennent pour le passager de la voiture qui a fauché Aymen. Dans la soirée de jeudi, 250 à 300 individus, armés pour certains de Kalachnikov, investissent une résidence où vivent des familles de la communauté gitane. Ils saccagent et incendient deux logements, deux camions et une voiture avant de repartir. Une vidéo – diffusée jeudi sur les réseaux sociaux – montre un groupe d’une vingtaine de « jeunes » en train de courir dans la rue en criant : « Allah akbar!», ou encore : « On va vous n***** vos mères, les Gitans…».
Depuis, les tensions sont quelque peu retombées, après une réunion entre les deux communautés organisée à la mosquée Averroès, sous l’égide de l’iman et de deux pasteurs évangéliques.
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Ces violences ne sont absolument pas un simple « fait divers ». Elles sont un démenti cinglant infligé au grand récit progressiste, qui nous promet l’effacement des différences ethniques, religieuses, nationales, et l’avènement d’une humanité enfin unifiée, communiant dans la même « religion de l’humanité ». Ce grand récit est ce qui informe la manière dont, depuis plus d’un demi-siècle, nous avons envisagé la question migratoire et ce qui, chez nous, est son corollaire, l’augmentation très rapide du nombre de musulmans vivant sur notre sol.
Nous avons agi de facto comme si nous pouvions être indifférents au nombre et aux caractéristiques culturelles de ceux que nous accueillons en France, d’une part, et comme si, d’autre part, les musulmans allaient peu à peu, à notre simple contact, s’émanciper de leur religion et faire de celle-ci une opinion strictement privée, tandis que prévaudrait dans la sphère publique une indifférence polie aux croyances des uns et des autres. Nous avons agi comme si la seule chose que nous étions en droit d’exiger des nouveaux venus était qu’ils respectent les lois du pays – ce qui est proprement ne rien exiger, puisque la loi se définit par son caractère obligatoire – ainsi que quelques fantomatiques « valeurs de la République », dont les premières étaient, nous disait-on, la tolérance et l’ouverture à l’autre, et qui nous commandaient donc d’être indifférents à toutes les particularités réelles de ceux qui voulaient s’installer chez nous.
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Or, ce que nous montrent les violences de la semaine dernière, qui sont loin d’être les premières dans leur genre et qui tendent à se multiplier, c’est que ces particularités persistent et même, semble-t-il, se renforcent, certains immigrés de troisième ou de quatrième génération étant, par bien des aspects, moins bien intégrés à la communauté nationale française que leurs parents. Ce que nous avons vu, dans le quartier de la Mosson, c’est qu’il peut être dangereux d’arborer un drapeau français un soir de match. Nous avons pu constater que, ce qui fait autorité, au sens strict du terme, ce ne sont pas les lois de la France, qui interdisent la vengeance privée, mais ce que le docteur Maurice Berger appelle la « culture clanique », qui commande de venger immédiatement et collectivement toute atteinte portée à l’un des membres du clan. Nous avons pu enfin constater que la religion n’est pas nécessairement une chose du passé. Qu’elle est toujours, pour certains, une réalité vivante et que son pouvoir d’orienter les opinions et les actions est bien supérieur à celui des « valeurs de la République » ou de la « laïcité à la française ». Selon la profonde formule de Pierre Manent, nous avons pu constater, une fois encore, que l’islam est « la religion qui ne veut pas finir, et qui s’affirme dans des formes publiques ostensibles et conquérantes, jetant au moins le doute sur le grand récit de la sécularisation ».
Sous l’empire du grand récit progressiste, nous avons oublié ou négligé l’expérience universelle du genre humain, qui nous apprend qu’une communauté politique ne saurait accueillir en son sein des étrangers en grand nombre sans se mettre en péril, c’est-à-dire sans risquer de détruire cela même que les étrangers viennent chercher : la paix, la prospérité, la liberté que garantissent un bon gouvernement.
Il en est ainsi précisément parce que l’étranger qui se présente à notre porte est un être humain, comme nous, et non pas une brique ou un morceau de bois. Il apportera donc toujours avec lui des opinions, des sentiments, des coutumes, une religion, des mœurs particulières qu’il aura reçues dans la société au sein de laquelle il aura grandi et aura été éduqué. Et, comme le remarquait déjà Montesquieu : « Les hommes tiennent prodigieusement à leurs lois et à leurs coutumes […] il est rare qu’on les change sans de grandes secousses et une grande effusion de sang, comme les histoires de tous les pays le font voir ».
A l’heure où le Parlement s’apprête à examiner un énième projet de loi consacré à l’immigration, le trentième depuis 1980, chaque représentant de la nation devrait avoir bien présent à l’esprit ce qui s’est passé à Montpellier, la semaine dernière, dans le quartier de la Mosson, et considérer sans faiblesse tout ce qu’impliquent de tels évènements.
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