Accueil Politique Le Peillon et le goupillon

Le Peillon et le goupillon


Le Peillon et le goupillon

Vincent Peillon CRAP

On croyait la gauche perdue pour l’École républicaine, acquise aux thèses des « pédagos » qui prétendent « mettre l’enfant au centre du système » et invitent les professeurs à aborder en cours des « problématiques proches des élèves » telles que « le divorce de mes parents », « la vie difficile dans ma cité, confronté au racisme », « Papa au chômage »[1. Exemples extraits de La Sagesse du professeur de français, Cécile Révérat, L’Œil neuf éditions, 2008.]…
Or, dans ce débat entre partisans de l’École-ouverte-sur-la-vie et défenseurs de l’École-sanctuaire, Vincent Peillon a récemment semblé prendre le parti des seconds. Rappelons les faits : mi-décembre, dans un courrier adressé à 8300 chefs d’établissement, Éric de Labarre, secrétaire général de l’enseignement catholique, fait part de son opposition au mariage pour les couples homosexuels et invite les directeurs à « prendre des initiatives pour permettre à chacun l’exercice d’une liberté éclairée ». « Retour de l’ordre moral », « volonté d’endoctrinement »« tartufferie »: à gauche, on s’étrangle de rage. Le ministre de l’Éducation nationale appelle les recteurs « à la plus grande vigilance » afin qu’il n’y ait pas (dans les établissements catholiques) de « phénomènes de rejet et de stigmatisation homophobes ». Ce qui lui vaut le soutien explicite du Président de la République.

Sur le moment, je pense qu’il n’a pas complètement tort. Certes, l’exigence de neutralité n’a pas exactement la même signification à l’École publique et à l’École privée, fût-elle sous contrat, d’où la reconnaissance par la loi du « caractère propre » de cette dernière. En effet, à quoi bon des écoles cathos s’il est interdit d’y transmettre des valeurs cathos ? Et puis, on aimerait que le ministre s’abstienne de soupçonner d’homophobie tout adversaire du « mariage pour tous », ritournelle dans laquelle excelle sa collègue, l’irremplaçable Najat Vallaud-Belkacem – et qui revient, soit dit en passant, à criminaliser toute divergence.[access capability= »lire_inedits »]

Je fais taire ces réserves en me disant qu’après tout, le mieux est parfois l’ami du bien. Et il est certain que l’École, catho ou pas, faillirait gravement à sa mission en prenant parti dans les affrontements politiques ou en appelant les jeunes à descendre dans la rue. (Je ne me rappelle pas que quiconque ait protesté, durant la joyeuse quinzaine anti-Le Pen de 2002, parce que des professeurs invitaient leurs élèves à manifester. Mais enfin, c’était il y a dix ans. Et le fascisme était à nos portes, n’est-ce pas ?)

Quoi qu’il en soit, quand tant de bons esprits redécouvrent les vertus d’une École vouée à l’apprentissage des savoirs et font l’éloge de la neutralité – socle indispensable de la laïcité, donc du pluralisme – on ne va pas bouder son plaisir.

L’ennui, c’est qu’ils en font un chouïa trop. Ayant sans doute découvert il y a peu qu’un débat consistait dans la confrontation d’opinions différentes, ceux qui réclamaient hier que l’on remplace l’étude des textes classiques par celle des articles de journaux répètent désormais avec le plus grand sérieux qu’il ne faut pas importer à l’École les débats qui traversent la société. Curieusement, on ne les a pas entendu protester quand Stéphane Hessel faisait sa tournée des popotes collégiennes pour sommer les élèves de s’indigner sur les sujets de leur choix, en commençant par l’affreuse et cruelle politique israélienne. Ni quand le député européen écolo Alain Lipietz ou Dominique de Villepin étaient invités à porter la bonne parole dans des établissements de Clichy-sous-Bois ou Bondy – sans la moindre arrière-pensée politique évidemment.

De toute façon, après des décennies passées à abattre avec enthousiasme les murs qui séparaient naguère l’École de la vie, il est illusoire de prétendre qu’elle va redevenir ce monde à part où les jeunes ne sont plus que des élèves. Sans doute est-il impossible de tenir complètement l’actualité à distance ; dans ces conditions, elle pourrait être l’occasion d’apprendre aux élèves à écouter la parole de l’autre, voire à respecter les opinions minoritaires.

Seulement, on ne peut enseigner que ce qu’on sait. Or,  pour une partie de la gauche, y compris de la gauche enseignante, la neutralité ne s’impose qu’aux opinions de ses adversaires, les siennes étant à ranger dans la catégorie des vérités. En visite dans une école du Loiret, Najat Vallaud-Belkacem a déclaré que l’ouverture du mariage aux homosexuels permettrait « plus d’épanouissement, plus de liberté, plus d’égalité dans la société » et qu’il fallait donc « le comprendre comme une avancée ». On ne voit pas pourquoi elle aurait pris des gants, dès lors que l’objectif est de lutter contre une homophobie prétendument galopante – ce qui est bien plus urgent que d’apprendre aux enfants à lire et écrire[2. Non, je ne souhaite nullement que l’homophobie progresse : je constate simplement, pour m’en réjouir, qu’elle a considérablement régressé. Mais dans une société où chacun entend être plus victime que l’autre, ce constat, que n’importe qui peut faire à l’œil nu, est déjà une preuve d’homophobie.]. Cette incapacité sincère des partisans du projet à admettre que l’on puisse avoir un autre avis qu’eux sans être au mieux un idiot, au pire est salaud, est à la fois désarmante et terrifiante.

Dans ce contexte, l’offensive de Vincent Peillon prend un tout autre sens. Quand il écrit, dans sa lettre aux recteurs, que « le gouvernement s’est engagé à s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités, notamment par le biais d’une éducation au respect de la diversité des orientations sexuelles », on se demande s’il est question d’éducation ou d’embrigadement, d’information ou de propagande. De quel droit nos gouvernants s’emploient-ils à changer nos mentalités, en s’appuyant sur la jeunesse de surcroît ? Ont-ils été élus pour nous dire comment penser ? Soustraira-t-on les enfants aux parents dénoncés comme « réactionnaires » – ou trop ouvertement hétérosexuels ? Une fois encore, une certaine gauche, convaincue de détenir le monopole de la légitimité, révèle son effrayante conception du pluralisme. Tout désaccord sera sévèrement réprimé. C’est cela, sans doute, qu’ils appellent un débat.[/access]

*Photo : Parti socialiste.

Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Légion d’honneur : le revers du refus de la médaille
Article suivant La Belgique, l’autre pays des lois grotesques
Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération