Voir le visage de Vincent Lambert


Voir le visage de Vincent Lambert

Vincent Lambert vidéo

Le comité de soutien de Vincent Lambert a posté sur Internet, le 9 juin, une vidéo de lui dans sa chambre du CHU de Reims. Cette initiative a comme double objectif de montrer à la France entière dans quel état il se trouve et de susciter un grand mouvement d’opinion en faveur de son maintien en vie. Certes, on peut se demander s’il était bienvenu de filmer cet homme au moment même où sa mère lui apprenait par téléphone que la Cour européenne des droits de l’homme venait de confirmer la décision du Conseil d’Etat autorisant l’équipe médicale à mettre fin à ses jours. Aimerions-nous voir aujourd’hui le visage d’un prévenu au moment où le président d’un tribunal lui lit sa sentence de mort ? D’ailleurs, le fait qu’on lui fasse une telle annonce, de surcroît par téléphone, m’a mise également mal à l’aise.

Mais, hormis ces importantes réserves, je ne peux que souscrire à l’idée qu’il est temps de montrer qui est Vincent Lambert, tant les enjeux pour sa propre vie et pour les milliers de personnes se trouvant dans son cas sont fondamentaux. En effet, à partir du moment où l’Etat et la société s’arrogent le droit de décider de son sort, le droit à l’intimité, avancé surtout par les partisans de son décès, ne me paraît pas pertinent, tant les circonstances sont ici exceptionnelles.

Que voyons-nous sur ces images ? Un homme, réveillé, qui manifeste une certaine conscience et  qui a même un échange de regards avec son frère. L’argument de l’état végétatif, dont se prévalent le Conseil d’Etat puis la CEDH pour justifier leur décision, me laisse profondément perplexe car ce que l’on voit ne semble pas vraiment correspondre à l’affirmation selon laquelle il ne présenterait « aucun signe en faveur d’un état de conscience minimale ».

Le jour même de la décision de la Cour, le Figaro a posé aux internautes la question suivante concernant Vincent Lambert : « Approuvez-vous la décision de la CEDH de valider l’arrêt des soins ? » La réponse était oui à 73%. Un sondage plus affiné permettrait de mieux saisir les raisons d’une telle approbation. Il est évident que beaucoup, par ignorance de son état, ont fait intuitivement confiance au jugement « éclairé » du Conseil d’Etat et des juges de Strasbourg qui, contrairement à nos hommes politiques, bénéficient encore aujourd’hui d’un certain crédit.

Or, la publication de cette vidéo, aussi dérangeante soit-elle pour certains, intervient alors même que  cinq juges de la CEDH, ayant pris part au vote, ont publiquement exprimé dans un texte joint à l’arrêt, leur profond désaccord sur la décision de la Cour. Ces images mettent crûment en lumière ce que qu’écrivent ces juges, à savoir : «  Vincent Lambert est vivant et l’on s’occupe de lui. Il est également nourri – et l’eau et la nourriture représentent deux éléments basiques essentiels au maintien de la vie et intimement liés à la dignité humaine ». Ils s’étonnent, par ailleurs, que les autorités françaises aient refusé son transfert du CHU de Reims, ne disposant pas de structures d’accueil adapté, vers un centre spécialisé dans la prise en charge des grands handicapés.

Face à ce constat, les juges posent la question suivante : « Qu’est-ce qui peut justifier qu’un État autorise un médecin en l’occurrence non pas à « débrancher » Vincent Lambert (celui-ci n’est pas branché à une machine qui le maintiendrait artificiellement en vie) mais plutôt à cesser ou à s’abstenir de le nourrir et de l’hydrater, de manière à, en fait, l’affamer jusqu’à la mort ? »

Les juges reprennent à leur compte l’argument des parties requérantes, selon lequel  Vincent Lambert, en survivant 31 jours à un premier arrêt de son alimentation, décidé en 2013 par son ancien médecin, le docteur Kariger, a fait preuve d’une force de vie exceptionnelle. « Si réellement M. Vincent Lambert avait eu la volonté ferme de ne plus vivre, si réellement il avait « lâché » psychologiquement, si réellement il avait eu le désir profond de mourir, M. Vincent Lambert serait déjà, à l’heure actuelle, mort. Il n’aurait en effet pas tenu 31 jours sans alimentation s’il n’avait pas trouvé en lui une force intérieure l’appelant à se battre pour rester en vie. Mais il est incontestable que, par ses actes, Monsieur Vincent Lambert a manifesté une force de vie qu’il ne serait pas acceptable d’occulter. À l’inverse, tous les soignants de patients en état de conscience altérée le disent : une personne dans son état qui se laisse aller meurt en dix jours. Ici, sans manger, et avec une hydratation réduite à 500 ml par jour, il a survécu 31 jours. »

Pouvons-nous ignorer cette force vitale dont semble avoir fait preuve Vincent Lambert et qui a pesé, de façon déterminante, sur la décision de ces cinq juges de voter contre l’arrêt ? « Laisser partir Vincent », cette devise d’une cause, défendue et relayée dans les médias, avant tout par sa femme Rachel et son neveu François, par son ancien médecin, le docteur Kariger, avec l’appui de militants de l’euthanasie semble trouver aujourd’hui un écho largement favorable dans l’opinion publique. Or, cette cause, c’est celle qui va conduire un homme vers une mort lente et douloureuse, suite à l’arrêt de son alimentation et de son hydratation.

Comment au moins ne pas entendre (à défaut de soutenir) le fait que, pour lui éviter ce sort, ses parents, certains membres de sa famille et ses amis soient prêts à tout, y compris à se soumettre à la vindicte médiatique ? Celle-ci d’ailleurs n’a pas tardé à se déclencher suite à la diffusion de la vidéo à la télévision. Que n’a-t-on déjà entendu ces derniers jours ! Par exemple, une Christine Ockrent déchaînée mercredi 10 sur RTL, qui, en surjouant l’indignation, a accusé les parents, catholiques conservateurs, de faire partie d’une secte et d’agir par idéologie. Derrière ce rejet collectif, on voit transparaître la crainte de la mort, le refus de réaliser, à travers le visage de Vincent Lambert, notre fragilité et notre finitude.

Nous sommes en train d’ouvrir une boite de Pandore qui ne se refermera plus, un monde où les plus fragiles, notamment les grands handicapés, qu’ils soient dans un état végétatif ou pauci-relationnel, mais aussi certains malades d’Alzheimer, dont certains ne peuvent plus communiquer du tout  avec l’extérieur, seront à la merci de ceux (proches, équipes médicales, Etat) qui décideront à leur place du moment où ils devront mourir. Souvenons-nous, dans Arsenic et Vieilles Dentelles, le héros incarné par Cary Grant découvre avec horreur que ses deux vieilles braves tantes empoisonnent – soi-disant par compassion, en fait par folie – des hommes seuls pour leur épargner souffrances et solitude. Présentées comme des personnes dérangées dans le film, on peut se demander si elles seraient encore perçues ainsi aujourd’hui. Sont-elles destinées à devenir demain nos héroïnes ?

Qu’on le veuille ou non, ce visage de Vincent Lambert qu’on ne saurait voir interroge, bouleverse. « Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer » écrivait Emmanuel Lévinas[1. Ethique et infini.]. C’est un appel à notre conscience.

*Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA/1501251912



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