La ville normande fête, du 28 octobre au 1er novembre, les 60 ans du film Un singe en hiver tourné dans la station normande et les 100 ans d’Antoine Blondin.
2022 est l’année du Singe en Normandie. Ce week-end, ne vous étonnez pas de les voir par centaines, le nez collé aux vitres du train Paris-Tigreville, un peu hagards, un peu mélancoliques, ils migrent vers la station balnéaire à la recherche de leurs vingt ans. Parce ce que le film d’Henri Verneuil est une borne existentielle, parce que Belmondo toréait à l’entrée de la ville avec l’intensité des enfants tristes, parce que Suzanne Flon en épouse inquiète emmerdait gentiment son mari, parce que Noël Roquevert vendait une marchandise fantasque et improbable au Chic Parisien, parce que Gabin suçait des bonbons sur un quai de gare désert, parce que la pension Dillon était prise d’une soudaine anglomanie, parce que Paul Frankeur, bistrotier amer servait un Picon-bière à la couleur ambrée, parce qu’Audiard alternait entre la poésie d’Apollinaire et la réplique boulevardière, parce que le roman d’Antoine Blondin avait le tragi-comique des appels au secours quand l’heure est trop tard, parce que des fusées colorées explosaient dans le ciel et illuminaient la plage au sable mouillé, parce qu’il était question d’un fleuve lointain et de l’histoire d’un fusiller-marin, parce que Michel Magne chinoisait la mélodie du désespoir par un excès d’harmonica, parce que le crachin normand noyait l’horizon des jeunesses en fuite, parce que l’hôtel Stella comptait quatorze chambres vides à cette saison, parce que les espagnolades au cinéma ramènent toujours les petites filles à la maison, parce qu’on appelait Madrid et que l’on raccrochait avant d’entendre la voix d’une femme jadis aimée. Parce que les sentiments les plus intimes n’empêchaient pas les formules carnavalesques.
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Parce qu’on n’avait pas choisi entre rire ou pleurer, entre s’effondrer ou se redresser. Parce que nous touchions là, peut-être, l’identité française dans ce qu’elle a de plus désenchantée et de follement picaresque, d’humeurs chancelantes et de coups de menton, d’abandon et de sursaut moral. Parce que les Hommes n’avaient pas encore la prétention de tout expliquer, de tout régenter, de tout rentabiliser, de tout compartimenter et de tout justifier. Arrière les Esquimaux ! Et que le besoin de faire des phrases, des jolies, des piquantes, des marrantes, des remplies de larmes et des girondes qui pigeonnent au balconnet, des sèches comme le froissement d’une muleta dans une arène ou des gourmandes comme un petit salé aux lentilles sur une nappe à carreaux amidonnée n’était pas seulement l’apanage des marins. Il y a dans ce film et dans ce roman, les ferments d’une nostalgie libératrice et émancipatrice. Je revois Jean-Paul engoncé à l’arrière d’un taxi DS à la recherche d’une nuitée, sous une flotte drue, qui s’infiltre dans la peau et dans les interstices de l’âme. Et miracle climatologique, la Citroën immatriculée 405 FA 14 s’arrête devant le Stella, Albert Quentin ouvre, il porte une canadienne sur un pyjama à rayures.
Et je me sens bien comme des milliers de fans à travers tout le pays. On respire enfin les œufs en meurette et la sémantique persifleuse. Cette mémoire-là ne doit pas disparaître, des hommes de bonne volonté s’activent pour la faire courir et partager entre les différentes générations. Ils sont des passeurs. Ils ont l’art de la pyrotechnie éclaireuse dans le maquis des sources et des archives. Pour célébrer ce double anniversaire, le film datant de 1962 et les 100 ans d’Antoine Blondin né en 1922, Villerville se met à l’heure d’Hiver durant tout le week-end prochain. La commune très engagée dans la préservation de son patrimoine culturel, bien aidée par une équipe de spécialistes au savoir livresque emmenée par François Jonquères, le sémillant chef des Hussards a élaboré un programme de haute tenue littéraire et au fort tempérament farceur. Au programme, une exposition racontant le tournage d’Henri Verneuil et l’écriture du roman avec des documents originaux rares, des rencontres avec notamment Ariane Dolfus, la nièce d’Antoine Blondin mais aussi avec des critiques et des éditeurs, des projections de films, l’ouverture exceptionnelle du « Cabaret Normand » et même un feu d’artifice qui sera tiré depuis la plage, comme à la fin du film et bien d’autres surprises. Une expérience immersive comme disent les prospectus publicitaires, chers à Gabriel Fouquet. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l’aspect grandiose du mélange !
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