En 2024, les Vietnamiens sont devenus le premier contingent d’immigrés clandestins à traverser la Manche, devançant les Syriens et les Afghans. Habitués à ne rien attendre de l’État et désireux d’avoir affaire le moins possible à lui, ils ne font guère parler d’eux. Reste à comprendre cette exception vietnamienne.
Ni vu ni connu, les Vietnamiens ont battu au poteau Afghans, Syriens et Iraniens. Avec 3 100 personnes ayant traversé la Manche durant les neuf premiers mois de l’année 2024, les Vietnamiens représentaient 20 % des arrivées par bateau. Un chiffre en forte augmentation puisqu’ils n’étaient que 1 300 durant la même période en 2023. Depuis le drame du camion charnier, en 2019, où 39 Vietnamiens avaient trouvé la mort par asphyxie, les Vietnamiens privilégient la voie maritime.
Cette immigration est atypique. À la différence des autres pays d’origine, le Vietnam est un pays solide qui se porte bien. Économiquement, il est champion du monde de la croissance économique sur les vingt dernières années. En 2024, sa croissance a de nouveau dépassé les 7 %. Tous les clignotants économiques y sont au vert. Socialement, le Vietnam communiste, qui n’a pas copié le modèle de contrôle social orwellien de la Chine de Xi Jinping, laisse à ses concitoyens une large liberté individuelle, à condition toutefois de ne pas remettre en cause le rôle dirigeant du Parti communiste et de ses chefs.
Un migrant discret
Les migrants vietnamiens sont des hommes et femmes plutôt jeunes, sans qualification, des ouvriers mal payés ou criblés de dettes, prêts à tenter l’aventure. Ils sont bouddhistes, parfois catholiques, originaires des provinces du nord et du centre du pays les moins développées. Peu ou pas d’opposants politiques.
Une fois en France, ils se font discrets jusqu’au jour du départ où ils surgissent sur une plage du Dunkerquois pour monter sur un bateau pneumatique, généralement de meilleure qualité, plus sûr et donc plus cher, que la moyenne. Si la traversée échoue ou est empêchée par la police française, ils regagnent leur camp de base sans broncher. « Quand ils échouent à traverser, ils ne cherchent même pas à négocier le prix des taxis pour rentrer vers Dunkerque », déclare une bénévole de l’ONG Osmose 621.
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Une fois en Angleterre, rebelote. Les Vietnamiens rejoignent rapidement leur communauté. Habitués à ne rien attendre de l’État et désireux d’avoir affaire le moins possible à lui, ils apparaissent rarement sur le radar des autorités qui ont d’autres chats à fouetter. Durs à la peine, ils trouvent rapidement un travail. Car le périple du Vietnam à l’Angleterre coûte environ 50 000 euros et la famille au pays s’est endettée pour financer l’opération.
Quand certains d’entre eux se font prendre par la patrouille pour trafic de drogue de synthèse, contrebande ou travail forcé, le gouvernement vietnamien se montre coopératif et accepte de reprendre ses ressortissants. Le nouvel homme fort à Hanoï connaît bien le sujet. Précédemment ministre de l’Intérieur, M. To Lam, a accepté, il y a déjà plusieurs années, une coopération policière avec plusieurs pays européens, dont la France. Un accord de lutte contre l’immigration clandestine a été signé entre les deux pays en avril 2024, que la ministre de l’Intérieur, Mme Yvette Cooper, nommée trois mois plus tard, a commencé à appliquer sans réserve. Au programme, campagne visant à dissuader les départs, profilage des voyageurs suspects, échange d’information sur les cas identifiés et aide au retour.
Interrogés par les fonctionnaires français qui se demandaient quel sort ils réservaient aux migrants de retour au pays, les policiers vietnamiens ont répondu laconiquement. « Aucun. Sortis de l’aéroport, ils montent dans un bus et retournent dans leur village. » Simple comme bonjour.
Migrant vietnamien, le gendre (sans papiers) idéal ?
Disons-le franchement : en Angleterre comme en France, ce n’est pas aux Vietnamiens que les gens pensent quand ils dénoncent les dérives de l’immigration irrégulière. Outre sa discrétion et sa volonté de se fondre dans la masse, le Vietnamien possède plusieurs traits culturels qui facilitent grandement son intégration. Tout d’abord, il n’est porteur d’aucune culture ou religion à vocation universaliste. Il ne cherchera pas à vous convertir au bouddhisme ou à la pensée d’Hô Chi Minh. Ensuite, formaté par deux mille ans de confucianisme et soixante-dix ans de communisme, le Vietnamien aime l’ordre et respecte le pouvoir en place. Le Vietnamien sans visa ne revendiquera jamais un quelconque droit lié à sa religion ou ses coutumes.
Ce migrant bien sous tous rapports peut donc servir tous les discours politiques. La gauche sans-frontiériste y verra l’illustration que « l’immigration est une chance » et que le communautarisme, ça marche. La droite de la submersion migratoire y verra la confirmation que la frontière doit être entrouverte aux seules populations prêtes à s’intégrer sans réserve et rester fermée aux populations qui, pour des motifs religieux ou culturels, refusent ou sont incapables de s’adapter à nos mœurs et notre culture.
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Notons enfin qu’à cette immigration clandestine s’ajoute une immigration légale de grande qualité : des étudiants brillants, travailleurs, de familles aisées, que l’on retrouve dans les meilleures écoles d’ingénieurs et universités européennes. Après leurs études, ils restent souvent travailler sur place plusieurs années pour le plus grand bonheur des entreprises locales, avant de rentrer au pays afin que leurs propres enfants connaissent leur pays d’origine ou parce qu’ils ont été chassés par des groupes vietnamiens qui leur font des ponts d’or pour revenir.
Alors, le Vietnamien, un migrant régulier ou irrégulier idéal ? On peut le penser. L’immigré vietnamien est une réincarnation asiatique du « plombier polonais » du début du siècle. Un immigré travailleur, d’intégration facile, originaire d’un pays solide. Il est probable que cette immigration s’asséchera à son tour, au rythme du développement économique du Vietnam. Une bonne nouvelle ? À voir. La fin de l’immigration vietnamienne en France ou au Royaume-Uni témoignera autant de l’émergence économique du Vietnam que de l’appauvrissement de nos deux pays.
- Citée par le site Infomigrants, mai 2024. ↩︎
