En l’absence de vaccin, la population vietnamienne doit se terrer chez elle. Ho Chi Minh Ville fait appel à l’armée pour ravitailler la population.
Les choses changent vite en période Covid. Fin janvier 2021, le Vietnam était considéré après la Nouvelle-Zélande comme le pays au monde qui luttait le plus efficacement contre le Covid-19, selon le classement établi par l’Institut Lowy de Sidney. Six mois plus tard, la chute au classement est vertigineuse, le variant Delta a mis le pays au tapis en moins de trois mois. Dans les deux cas, notez bien, l’information est restée totalement ignorée des médias. En France, pour parler de la situation en Asie, on évoque Taïwan, la Corée du sud voire le Japon, mais jamais le Vietnam malgré notre passé commun et l’importante diaspora vietnamienne de France. Trop communiste, trop peu développé, trop lointain probablement pour nos chroniqueurs sanitaires. Les enseignements ne manquent pas même si les méthodes utilisées sont difficilement transposables en France. Jusqu’à fin avril de cette année, les Vietnamiens (97 millions d’habitants), voisins de la Chine épicentre de la maladie, réalisaient des miracles face au Covid-19. Une fermeture hermétique du pays, un contrôle social étroit et une discipline de fer pleinement acceptée par toute la population compensaient à merveille des capacités hospitalières modestes.
Résultat, moins de 3000 personnes positives au Covid-19 et moins de quarante morts en l’espace de 15 mois. Chiffres crédibles, conformes à la réalité du quotidien, et non pas bidonnés par le régime, comme on veut trop systématiquement le croire en France dès qu’il s’agit d’un régime communiste. Passé un premier confinement au mois de mars 2020 pour étouffer les premiers foyers de contamination, la vie avait repris son cours normal. En 2020, le Vietnam fut avec la Chine et la Nouvelle-Zélande l’un des trois uniques pays d’Asie à engranger une croissance positive du PIB (2,9%). Le premier trimestre 2021 laissait présager une croissance annuelle encore plus vigoureuse.
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Pour réussir leur politique de « Zéro Covid », les autorités vietnamiennes s’en tenaient depuis le début à une stratégie basique mais efficace : fermeture précoce de tous les points d’entrée sur le territoire ; contrôle étroit tout le long de la frontière pour prévenir toute immigration clandestine ; isolement de tous les cas positifs et de tous leurs cas contacts ; quarantaine obligatoire d’un mois (15 jours en camp suivis de 15 jours chez soi) pour tous les Vietnamiens et les rares étrangers autorisés à rentrer au Vietnam. Méthode contraignante mais efficace. Bien protégée par une stratégie qu’elle croyait sans faille, la population vivait quasi normalement et était fière de ses résultats. Le virus ne rentrait pas mais les biens d’exportation continuaient de partir pour le monde entier et c’était bien là l’essentiel.
Ça, c’était avant. Il y a quatre mois. Une autre époque
20 août 2021. L’armée vietnamienne est arrivée au petit matin dans Saigon désert. Véhicules blindés et camions de transport de troupe ont pris possession des grands axes. Les soldats ont installé des barbelés pour empêcher quiconque d’entrer ou de sortir de la ville. Ho Chi Minh Ville, déjà confinée depuis un mois en raison d’un taux de contamination reparti en flèche, se réveillait quadrillée par 10 000 soldats. Avec un mot d’ordre : « Ne bougez plus, restez où vous êtes ! » Interdiction totale de sortir de chez soi, même pour faire ses courses. L’armée ravitaillera les dix millions de Saïgonnais durant les quinze prochains jours, a annoncé le gouvernement.
Revoir les camions militaires en plein cœur de Saigon fait un drôle d’effet. Ironie de l’histoire, cet événement survenait quelques jours après que les journalistes du monde entier ont fait le parallèle entre la chute de Kaboul le 15 août 2021 et la chute de Saigon le 30 avril 1975. Mais derrière les images choc, la réalité est amère pour les Vietnamiens. Le virus a réussi à rentrer dans le pays fortifié et, après une lutte féroce, la mise en quarantaine de centaines de foyers, immeubles, rues et villes entières durant plusieurs semaines, le gouvernement vietnamien a reconnu sans détour et sans langue de bois que, cette fois-ci, contrairement aux trois attaques précédentes du virus, celui-ci lui avait échappé, s’était propagé dans le pays et qu’il était désormais impossible de le juguler. Exit donc la politique du « zéro Covid ».
Le variant delta a réussi à se frayer un chemin au Vietnam tout début mai, passager incognito de quelques Chinois entrés clandestinement dans le pays pour échapper à la quarantaine. Le virus est ensuite entré dans les zones urbaines du nord puis du sud du pays et a pénétré les zones industrielles autour d’Ho Chi Minh Ville où des centaines de milliers d’ouvriers travaillant en deux-huit se croisent chaque jour. Un petit retard à l’allumage de la mairie de Saigon a fait le reste. Quand les mesures de confinement ont été prises, il était trop tard. Le virus était déjà incontrôlable.
Ces trois derniers mois, le virus s’est répandu à une vitesse qui a surpris tout le monde. Il faut dire qu’il n’y avait aucun obstacle pour l’arrêter. Le variant Delta est arrivé sur un terrain quasiment vierge de toute contamination. Avec juste 3000 cas positifs fin avril 2021, la population n’avait développé aucune immunité individuelle ou collective (si tant est que cela soit utile à quelque chose). Surtout, trop confiant dans sa capacité à maintenir le virus à l’extérieur de ses frontières, le Vietnam avait tardé avant de définir sa politique vaccinale, espérait produire son propre vaccin et n’avait encore passé aucune commande. Le 1er mai 2021, au début de la course victorieuse du variant delta, seul 0,5% de la population avait reçu une première dose de vaccin, provenant du programme d’assistance internationale Covax.
L’objectif de « Zéro Covid » appartenant au passé, le gouvernement s’est tourné vers la seule alternative disponible, le vaccin, dans l’espoir de freiner la propagation du variant, augmenter la résistance au virus et réduire le nombre de morts. Un « Vaccinton » télévisé a été organisé afin de collecter des fonds auprès des grandes entreprises du pays. Tous les grands patrons y sont allés de leur gros chèque. Une fois l’argent collecté, le plus dur restait à faire : trouver des vaccins immédiatement disponibles. Toutes les pistes ont été explorées. Hélas, trois fois hélas, les miracles n’existent pas dans l’industrie et les fournisseurs ne peuvent fournir que ce qu’ils ont en magasin. Après une phase de vaccination rapide (14 millions de personnes ont reçu une première dose de vaccin entre la fin juillet et la fin août, dont 35% de la population de Saigon), les réserves de vaccins se sont épuisées et les livraisons se sont interrompues. Le vice-Premier ministre Vu Duc Dam en charge de la lutte contre le virus depuis 18 mois est venu courageusement devant les caméras à la mi-août présenter la dure réalité des chiffres. Le Vietnam avait bien commandé des dizaines de millions de doses pour d’ici à la fin de l’année. Mais, petit problème, seules trois millions de doses (au mieux) seraient livrées d’ici la mi-septembre. Insuffisant pour compléter la vaccination de la population d’Ho Chi Minh Ville (environ dix millions d’habitants) et encore moins pour répondre aux besoins des provinces limitrophes qui regroupent les zones industrielles où le virus se répand comme une trainée de poudre.
En l’absence de vaccination suffisante, le vice Premier-ministre a confirmé ce que chacun avait déjà compris : la mise à l’arrêt du pays, la distanciation sociale, les confinements draconiens et le ballet des ambulances dans des villes désertes allaient continuer encore de nombreuses semaines. Dès le lendemain de cette intervention, l’armée investissait les rues d’Ho Chi Minh Ville.
La situation sanitaire a également pris un tour catastrophique dans la mégapole du sud du pays. Les hôpitaux de la ville sont débordés par le nombre de malades. Les nouveaux arrivants sont installés sur des brancards en métal, avec une bouteille et un masque à oxygène, dans les cours de l’hôpital hâtivement bâchées pour se protéger des pluies diluviennes de l’été. Le nombre de cas positifs croit depuis deux mois et tourne désormais autour des 12 à 13 000 par jour, dont 80% de contamination au sein de la population, alors que jusqu’en avril la quasi-totalité des cas positifs étaient découverts dans les centres de quarantaine hermétiquement fermés. Le nombre de morts dépasse désormais les 300 par jour. Si l’on s’en tient aux chiffres officiels, le taux de mortalité serait proche des 3%. Et rien ne dit que le pic de la vague soit atteint.
Les premiers seront les derniers
Pragmatique et lucide, le Vietnam s’est donc rallié à la politique des pays occidentaux et place désormais tous ses espoirs dans la vaccination. Malheureusement celle-ci intervient avec six mois de retard par rapport aux pays européens. En attendant l’arrivée des cargaisons officielles de vaccins, chacun tente de trouver un moyen de se faire vacciner avant les autres. La communauté française qui a reçu ses doses de vaccins grâce à l’ambassade de France et au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a fait de nombreux envieux. En attendant leur tour, les Vietnamiens des grandes villes sont condamnés à se terrer chez eux et à regarder à la télévision les matchs de foot anglais (dont ils raffolent) où des centaines de milliers de supporters britanniques vaccinés postillonnent l’amour de leur équipe durant deux heures dans des stades de plus de 50 000 personnes.
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Le succès est par définition fragile. Le Vietnam, pays de près de cent millions d’habitants en est un nouvel exemple. Hier premier de la classe, il est tombé en l’espace d’un trimestre dans la catégorie des pays en grande difficulté sanitaire, pour ne pas avoir acheté assez tôt les doses de vaccins qui auraient permis d’atténuer le choc des attaques du dernier variant en date, comme cela semble être bien le cas en France et en Europe.
Les Vietnamiens, peuple courageux, débrouillard et travailleur, se relèveront. Ils reprendront leur marche en avant, dans le sillon de la Corée du sud et de Taïwan. Mais pour l’heure, de manière totalement contracyclique par rapport à nous, ils vivent leurs pires heures de cette épidémie de Covid-19 et attendent impuissants l’arrivée des vaccins et la fin de leur cauchemar. Seule consolation, ils ne sont pas les seuls dans la région à avoir été débordés par le variant Delta. L’Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie vivent également un été 2021 meurtrier.