Si les tumultes politiques se sont multipliés ces derniers mois au sud-est de l’Asie, de la Thaïlande au Cambodge[1. Secoué par des élections présidentielles largement contestées.], le Vietnam semblait épargné. Poursuivant sa remarquable croissance économique, le pays impose l’ex-Saïgon, Ho-Chi-Minh-ville, comme une mégalopole mondiale dont le regard se tourne de plus en plus résolument vers l’Occident.
En fait, l’ex-possession française, qui garde pour vestiges des maisons coloniales à la richesse grandiloquente, et un parterre de touristes francophones, a deux visages. Le nord du pays, imprégné d’une très forte empreinte communiste, est dominé par le parti du même nom. L’été dernier, le noctambule que je suis s’accommoda avec grand mal de ces policiers venant tirer le rideau du bar alors que mon dernier saké arrivait tout juste sur le comptoir. Mon verre bu à la va-vite, je rebroussai chemin dans une espèce de cohorte militaire, les clients du bar, ne semblant pas prêts à se risquer au dialogue avec des policiers à la bonhomie toute relative. Comme auraient pu en témoigner mes compagnons du jour, la mainmise des communistes, ou plutôt de ce qu’il en reste après les contorsions du parti pour s’adapter à l’économie de marché, paralyse quelque peu l’économie du nord.
Mais, au sud du pays, la situation est radicalement autre. À Ho-Chi-Minh-ville, fleuron de l’Asie renouvelée, les fils et filles des grandes fortunes dépensent leur énergie et leurs argent dans des discothèques où les DJ les plus renommés de la planète touchent des cachets importants, loin de la réputation feutrée de l’Asie du Sud-Est. Las d’être dirigé « à la baguette » par le sur-influent voisin chinois, dont provient l’essentiel de l’afflux de devises (la Chine ayant implanté nombre d’usines dans le pays), c’est dans la moitié sud que s’est levée la contestation, sous le regard, bienveillant selon Pékin, du pouvoir vietnamien, lequel promet pourtant « des mesures sévères » pour mettre fin à cette agitation.
Peu habitué aux révoltes, le Vietnam opte pour une politique de l’écrasement rappelant à s’y méprendre le précédent du Cambodge, qui au plus fort de la contestation anticommuniste l’an dernier, avait imposé le silenzio stampa aux médias nationaux et violemment réprimé la plèbe contestatrice. En vain, puisque les élections présidentielles avaient par la suite déstabilisé le sortant Hun Sen, vainqueur d’une courte tête et contraint à partager le pouvoir.
Le Vietnam vogue-t-il vers le même destin ? Les violentes manifestations antichinoises fournissent au Sud le prétexte pour s’émanciper du pouvoir communiste du Nord. Hanoï reste un allié de circonstance pour Pékin, dans un mariage de la carpe et du lapin, qui tente de dépasser leur douloureuse histoire commune dont la guerre sino-vietnamienne de 1979 fut le point d’orgue. À l’époque, la Chine avait déclaré la guerre au Vietnam, inquiet de l’influence du régime pro-soviétique dans toute l’Asie du sud-est.
Les nombreuses tensions de ces derniers jours font écho à cette histoire récente, puisque les eaux disputées autour des iles Paracels continuent d’être la pomme de discorde entre les deux pays qui en revendiquent le contrôle depuis 1974. La semaine dernière, la Chine annonçait le déploiement prochain d’une plateforme pétrolière autour de ces îlots disputés. Une provocation du voisin aux yeux de nombreux Vietnamiens.
Le Vietnam n’a pas pansé ses plaies tant ses différentes populations diffèrent culturellement. La jeunesse d’Ho-Chi-Minh, nourrie de culture occidentale, voit là une formidable occasion de défier la Chine et le reste du pays.
Entre mondialisme effréné et patriotisme économique, le Vietnam doit encore se choisir un destin.
*Photo : Chris Brummitt/AP/SIPA. AP21565607_000001.
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