Dommage. On était parti pour s’indigner très fort de l’annulation du visa d’exploitation de La Vie d’Adèle, le film d’Abdellatif Kechiche, Palme d’or à Cannes en 2013, et de dire tout le mal que l’on pensait du lobby catho-intégriste Promouvoir et de son activiste principal, André Bonnet, figure de censeur idéal avec son passé frontiste, ses valeurs traditionalistes et ses huit enfants, ayant eu gain de cause une fois de plus contre une œuvre cinématographique sulfureuse, on avait une catilinaire toute prête contre ce qui n’est rien moins qu’un nouvel iconoclasme, d’ailleurs d’origine protestante et anglo-saxonne et qui tend à s’imposer de plus en plus chez nous, et voilà que l’on apprend que Kechiche trouve cette décision « plutôt saine », que lui-même déconseille son film aux moins de 16 ans, dont sa propre fille, en plus de désapprouver le pourvoi en cassation décidé par le ministère de la culture, « démarche (qui) n’a pas d’intérêt » selon lui.
Il est vrai que c’était une histoire de fous. Que La vie d’Adèle soit interdit aux moins de 16 ans, tout comme Nymphomaniac de Lars von Trier, ou Love de Gaspard Noé, eux aussi sur la sellette, le soient aux moins de 18 ans, semblait aller de soi. C’est bien parce que l’on plaide pour un cinéma d’adultes que l’on tient à préserver ceux qui ne le sont pas encore et qui ont peut-être, et pour l’instant, mieux à voir. On peut être un passionné de Pasolini, Kubrick ou Oshima et comprendre qu’il n’est pas nécessaire que nos neveux et nièces se retrouvent à 11 ou 13 ans devant Salò, Orange mécanique ou L’empire des sens. Le problème est que ce sont les distributeurs qui, en faisant tout pour que les films de Trier, Noé et Kechiche, échappent à cette interdiction minimale et légitime, ont donné alors à l’assoce catho toute latitudes pour commettre ses ravages iconoclastes et obtenir légalement une annulation intégrale d’exploitation de ces films – et dans le cas d’Adèle, deux ans après sa sortie en salle, ce qui ajoute à la confusion procédurière et morale. Dès lors, tout s’emballe : au lieu de reconnaître ce qui était en effet « une erreur d’appréciation » de la part de la commission de classification des films et de faire en sorte que l’interdiction d’Adèle passe au plus vite de douze à seize ans, et qu’on n’en parle plus, le ministère de Fleur Pellerin ne trouve rien de mieux faire que de se lancer dans une bataille juridique qui risque fort de profiter aux puritains procéduriers et leur donner l’occasion et l’envie de s’attaquer désormais à toute œuvre donnant à voir un téton de trop ou à entendre un gros mot de trop.
Comme si au pays de Sade et de la fille aînée de l’Eglise, le moindre lézard juridique ne pouvait que devenir une grande bataille métaphysique et morale- au grand dam des vrais créateurs qui n’en demandent pas tant. Il n’empêche. À cause des libertaires post-soixantuitards, les puritains ultra-réacs ont remporté une bataille. Ce qui n’est pas sans rappeler certaines élections régionales. À cause de la gauche sociétale, élitiste, Terra Nova, l’extrême droite est en train de triompher partout.
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