Melancholia au Katanga


Melancholia au Katanga
Marc Müller (wikipedia)
victor hugo smartphone katanga
Marc Müller (wikipedia)

« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?/ Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?/ Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?/ Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;/ Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement/ Dans la même prison le même mouvement. » La description poignante de ces enfants au travail est de Victor Hugo, dans son poème « Melancholia », extrait des Contemplations. Nous sommes en 1856. Le premier tirage du recueil s’arrache en une journée et, alors que la révolution industrielle bat son plein, « Melancholia » marque d’emblée les esprits. Hugo est l’un des premiers, sinon le premier, à dénoncer le scandale du travail des enfants bien avant le Zola de Germinal.[access capability= »lire_inedits »]

Le travail des enfants existe toujours

Cent soixante ans après, malgré la Déclaration universelle des droits de l’homme et les recommandations de l’OIT, le travail des enfants existe toujours. De manière beaucoup moins lyrique et dans une prose plus administrative, un rapport d’Amnesty International, rendu public le 19 janvier et assez peu repris dans la presse qui avait d’autres chats à fouetter, tente ainsi d’attirer l’attention sur le travail des enfants dans des mines de cobalt, notamment au Katanga. Le cobalt sert pour la fabrication des tablettes et des Smartphones de quelques grandes marques du secteur comme Samsung, Apple ou Sony, et les enfants « travaillent souvent plus de douze heures d’affilée, restant parfois vingt-quatre heures au fond de la mine. Ils travaillent par forte chaleur ou sous la pluie, et portent des sacs allant de 20 à 40 kg. Sans vêtement de protection, ils tombent malades et risquent leur vie tous les jours pour gagner entre un et deux dollars la journée ». Cette description des conditions de travail fait écho, mot pour mot ou presque, à celle du père Hugo, si ce n’est que les quinze heures en sont devenues douze.

Hugo ne transigeait pas

Trois heures de moins en cent soixante ans, on peut toujours s’amuser à appeler cela un progrès, et il se trouvera bien quelques amis de la mondialisation heureuse pour le faire, tandis que Hugo, lui, ne transigeait pas : « Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre/ Qui produit la richesse en créant la misère/ Qui se sert d’un enfant ainsi que d’un outil. » Ce n’est pourtant pas le travail qu’il condamne en soi, Hugo n’est pas un gauchiste, mais uniquement le travail des enfants qui, précisément, déshonore l’idée même du « vrai travail, sain, fécond, généreux / Qui fait le peuple libre et qui rend l’homme heureux ».[/access]

Loin, très loin du Katanga, donc.

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Février 2016 #32

Article extrait du Magazine Causeur



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