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Victor Hugo, l’Insoumis?

Pas sûr que le monstre sacré de notre littérature ait pris sa carte chez Mélenchon...


Victor Hugo, l’Insoumis?
VIctor Hugo, portrait par Léon Bonnat, 1879

Traiter en quelques lignes de Victor Hugo et de son œuvre relève de la gageure. C’est un himalaya aux multiples pentes, particulièrement escarpées, quasiment inaccessibles aux tenants de la cancel culture.


Un monument littéraire du XIXe siècle, riche et foisonnant. Difficile, malgré qu’en aient certains, à évincer de notre patrimoine. C’est qu’il fait partie de notre inconscient collectif et n’a rien perdu de son actualité [1].

Un témoin incontournable

Né à Besançon au tout début du XIXe (« Ce siècle avait deux ans… »), mort en 1885 à Paris, il aura traversé son époque en imprimant sa marque à celle-ci, tant comme témoin que comme acteur de son évolution, aussi bien sur le plan littéraire que politique et social. Témoignent de son aura dans toutes les couches de la population, ses obsèques qui donnèrent lieu à de grandioses célébrations. C’est qu’il a touché à tous les genres, roman, poésie, théâtre, récit, pamphlet, avec la même passion, la même fougue. Et, surtout, une richesse lexicale que l’on peinerait à trouver aujourd’hui dans notre littérature étique ou sur les fameux réseaux sociaux, si prisés de nos jours.

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Si l’on soumettait à un lecteur lambda ces deux vers extraits du poème A celle qui est voilée (non, il ne s’agit pas d’un sujet d’actualité, mais du fantôme de la femme aimée) : « Sois l’ange chez le cénobite, / Sois la clarté chez le voyant. », l’interprétation qui en serait donnée ne serait pas dépourvue d’intérêt…

Un écrivain profus

Une maîtrise de notre belle langue et une effervescence propre à en déconcerter certains. Quand on lui demanda quel était, selon lui, le plus grand poète français, André Gide répondit : « Victor Hugo, hélas ! » Une boutade, certes, mais parlante. On peut reprocher à l’auteur des Contemplations ou de La  Légende des siècles  son romantisme flamboyant. Voire, parfois, emphatique. Mais il voisine avec des poèmes plus intimes où s’exprime, par exemple, la douleur d’un père qui vient de perdre sa fille Léopoldine, disparue dans des conditions tragiques. Ou encore avec l’indignation qui accompagne, dans Les Châtiments, la condamnation sans appel de « Napoléon le petit ».

Autre volet, l’inspiration « mystique », ou métaphysique, illustrée par la pratique des tables tournantes, lors du long exil du poète à Guernesey. Une vision panthéiste teintée de christianisme, qui s’exprime dans maints recueils. Elle traverse l’Histoire et la légende, explorant aussi bien  la Bible (« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ») que les chansons de geste du Moyen-âge (« C’est ainsi  que Roland épousa la belle Aude ».) ou l’épopée napoléonienne  (Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morne plaine… »). À la fois respectueux des règles classiques de la prosodie et de la métrique, il adore jouer avec le langage – voire le bousculer. Il s’en glorifie volontiers, du reste : « J’ai mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire ». Un autre amoureux de notre langue, Georges Brassens, ne s’y est pas trompé, qui a mis en musique quelques poèmes de Victor Hugo et leur a redonné vie.

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Le meilleur exemple des jongleries du poète romantique demeure ces alexandrins holorimes : « Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime, / Galamment de l’Arène à la Tour Magne, à Nîmes ».  

Au service des déshérités

Toutes les qualités du poète se retrouvent chez le romancier. Si des ouvrages aussi emblématiques que Les Misérables ou Notre-Dame de Paris jouissent encore aujourd’hui d’une renommée intacte, cela n’a rien de surprenant. Ils ont donné lieu à des adaptations cinématographiques ou à des comédies musicales plébiscitées par le public. C’est que Victor Hugo touche sans coup férir la sensibilité de son lecteur. Quasimodo et Esméralda, tout aussi bien que Cosette, Gavroche ou Jean Valjean, sont attendrissants. Ils sont issus du petit peuple et portent en outre un message social, voire politique, témoignant de l’évolution de leur créateur. Celui-ci, d’abord royaliste, fut, au fil des ans, séduit par les idées démocrates. Élu en 1849 à l’Assemblée législative, il se fera l’inclassable défenseur de la liberté en tous domaines, luttant, notamment, contre la loi Falloux qui consacra la mainmise de l’Église sur l’Éducation. C’est tout naturellement qu’en 1851, il prendra parti contre le coup d’État de celui qui deviendra Napoléon III. Un engagement qui transparaît dans son œuvre, quelque forme qu’adopte celle-ci. Les idées qu’il défend en font parfois un précurseur. Ainsi combat-il avec brio la peine de mort dans son roman Le Dernier jour d’un Condamné.

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Il va sans dire que son théâtre traduit, lui aussi, cette volonté d’émancipation. La Préface de Cromwell se présente comme un manifeste pour la liberté du théâtre et, au-delà, de l’art en général. Ce drame romantique (au demeurant injouable) veut concrétiser, en même temps que la valeur exemplaire d’une intrigue historique, l’affranchissement de toute contrainte. Banni, le carcan classique des trois unités de temps et de lieu. Une véritable révolution qu’Hernani et sa célèbre bataille porteront à son sommet.

Tel fut Hugo. À la fois militant pugnace, ancré dans le concret (ainsi apparaît-il dans ses Choses vues) et rêveur éthéré, soucieux de soulever des questions essentielles et existentielles.

Un précurseur de nos insoumis ? Pas vraiment. Bien plutôt, différent d’eux sur tous les points importants, à commencer par la passion de l’histoire et l’amour du passé. À quoi il convient d’ajouter l’attachement à tout ce qui constitue notre culture. Et, surtout, le sens de la nuance, l’élégance et la finesse. Toutes qualités qu’on serait bien en peine de déceler chez nos professionnels de l’invective, chaussés de gros sabots, acharnés à saper les fondements de notre civilisation.


[1] Publiés récemment aux éditions Flammarion : Le Dernier jour d’un Condamné, Anthologie poétique, Ecoutez le Rêveur, parus le 26 août. La Légende des siècles, Torquemada, parus le 4 octobre.

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Journaliste et écrivain, a enseigné les lettres classiques au lycée et l'histoire du jazz à l'université.

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