Vendredi, les 36e Victoires de la musique, retransmises par France 2 depuis la Scène Musicale, ont créé le malaise. Seul Benjamin Biolay a sauvé une soirée placée sous le signe du woke et du mauvais goût. Causeur a regardé la cérémonie pour vous.
De la même manière que l’Art s’est transmué en divertissement (le critère de rentabilité s’étant substitué à la mise en avant de toute singularité créative), et que l’idée d’un 21 Juin harmonieux a laissé place dans nos rues à la Fête du Bruit, les Victoires de la Musique nous ont offert, comme à leur habitude, un spectacle peu reluisant.
Mariage parfait entre militantisme woke et mauvais goût
Le prix de l’Artiste féminine de l’année pouvait-il échapper à Pomme, qui la veille de la cérémonie avait dénoncé dans une tribune sur Mediapart les « violences patriarcales », « harcèlements, agressions et viols » perpétrés par des « hommes cisgenre » ? Personne ne doutait non plus qu’Yseult remporterait celui de Révélation féminine. Quelques jours plus tôt, l’artiste se questionnait : « On doit quelque chose à la France, mais qu’est-ce qu’on doit en fait ? […] On ne voit pas ce que l’on nous a pris ou ce que l’on a pris à nos parents, c’est-à-dire la dignité, le respect et l’empathie ! »
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À la traîne face aux Américains dans la transformation numérique du marché du disque, les producteurs français d’une industrie erratique et pas vraiment épargnée par les scandales sexuels choisissent, à l’instar du cinéma hexagonal, de surfer sur les crispations tout en flattant les minorités. Étrange, quand on lit qu’une femme sur trois dit avoir été victime de harcèlement sexuel au sein même des labels.
Nos artistes créent le malaise
Les artistes féministes, les fossoyeurs de la langue française et autres chantres du racialisme ne se contentant plus d’une vengeance sur nos tympans, nous avons également subi des attaques visuelles particulièrement éprouvantes, avec par exemple Aya Nakamura et son featuring en combinaison orange sur fond de lit géant. Il y eut aussi Yseult, ses « Soyons fiers » et « Notre colère est légitime », accompagnée de son ballet à la chorégraphie déstructurée mais savamment racisé – véritable ode à la diversité, dont le recrutement des danseurs ne respecta vraisemblablement pas le principe de mélange qu’il est censé défendre.
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Camélia Jordana, qui a en sa possession le trousseau de clefs de tous les plateaux TV, compléta le tableau. L’intervention pimentée et le doigt d’honneur de Jean-Louis Aubert – certains internautes se sont demandé si le bar de La Seine Musicale n’avait pas obtenu une dérogation pour servir de l’alcool – auront permis d’apporter une certaine légèreté, ou, pour d’autres, un nouveau sentiment de malaise. À travers une prestation aboutie en comparaison de ses concurrents, le lauréat Benjamin Biolay aura le temps d’une chanson soufflé une poésie sobre, lancinante, et au final salvatrice sur le marasme cathodique.
La lourde responsabilité des maisons de disque
L’industrie musicale, et ses représentants légitimes qui façonnent les Victoires, souffrent de bien des maux. Tout d’abord, une fâcheuse tendance à sélectionner les artistes en les alignant sur le discours ambiant et les revendications du moment. Or, si musique et politique font parfois bon ménage – on peut se référer aux deux « Bob » Dylan et Marley, à Bruce Springsteen, ou même encore Noir Désir –, c’est à condition que les revendications soient adossées à un talent certain. Des messages politiques forts et nécessaires ont été scandés depuis plus de cinquante ans, dénonçant les inégalités, le racisme ou la place des homosexuels ; mais ils étaient jusqu’ici portés par le génie musical, et jamais ne cédaient à la tentation victimaire.
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Autres symptômes à déplorer : le mimétisme face aux Etats-Unis – la culture se faisant entertainment –, l’opportunisme où la recherche du buzz guide toute démarche artistique. Par ailleurs, le désir de diversité des majors du disque cause des dommages collatéraux, comme la quasi-disparition du rock dans la culture des jeunes, et la promotion de certains styles – en l’occurrence la musique urbaine – se fait inéluctablement au détriment d’autres courants. On peut déplorer ce choix en constatant, d’après l’étude du très sérieux Projet Voltaire portant sur les 15-25 ans, que les amateurs de rap ont d’importantes lacunes en orthographe, contrairement à ceux qui s’abreuvent d’indie, de rock ou de métal.
Alors peut-on encore parler de Victoires, en proposant un tel visage, et tandis que la musique s’est en quelque sorte tue ?
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