J’ai chez moi le livre de Pascal Jardin, La guerre à neuf ans, dont Jérôme Leroy a récemment rendu compte. Le récit d’une enfance passée à courir dans les couloirs de l’Hôtel du Parc où le maréchal Pétain avait élu domicile. Je suis assez d’accord avec Leroy : c’est exquis, précis, acide. Nul ne peut en effet contester que chez les anarchistes de droite, dont était Jardin, la légèreté du style allait de pair avec le creux de la pensée.
J’ai également chez moi deux autres livres qui déversent un peu de lumière sur cette période réputée sombre de notre Histoire. La vie quotidienne sous l’Occupation d’Henri Amouroux et Chroniques de la vie des Français sous l’Occupation d’Emmanuel Thiébot. Ils complètent utilement le livre de Pascal Jardin. Vous entrez dedans et c’est la caverne d’Ali Baba avec ses pierreries et ses diamants. Une France vivante, élégante et qui s’amuse. Une France qui va au théâtre et au cinéma. Une France qui se vautre dans les salons très courus de la collaboration et trouve que les vainqueurs allemands sont plutôt beaux garçons.
Charles Trénet chantait alors « Y a d’la joie ». Et c’est vrai que dans ces années-là, tout le monde ne pleurait pas à Paris. En cette période de restrictions où le cuir est devenu introuvable, Maurice Chevalier chante « La Symphonie des semelles de bois ». « Les femmes maintenant ont du charme/Jusqu’au bout des doigts de pied/En marchant les midinettes/semblent faire des claquettes. » L’alimentation manque. Invité à déjeuner à la Tour d’Argent par Ernest Jünger, Montherlant fait une confidence émue à l’écrivain allemand : « Vous savez, cher ami, quand on se trouve face à un saucisson à l’ail, on se sent moins seul. »
Continuons de feuilleter au hasard. Le Tout-Paris s’enflamme pour le sculpteur Arno Breker. Aux Champs-Élysées une brillante réception en son honneur est donnée. {…} Jean Cocteau y va et tombe en pâmoison devant tous ces nus si parfaits. {…}. « Je vous salue, Breker. Je vous salue de la haute patrie des poètes. {…} Parce que dans la haute patrie où nous sommes compatriotes, vous me parlez de la France. »
Et puis encore ça. Le 122 rue de Provence, connu sous le nom de One Two Two, laisse s’échapper une cohorte de soldats allemands passablement fatigués par la nuit de plaisir qu’ils ont passée dans cette maison de rendez-vous. Des camions de la Wehrmacht les attendent. Direction la gare de l’Est. Ils partent vers le front. Le vrai. Là où on meurt. Les plaines de Russie. Les filles du One Two Two ont fait de leur mieux pour leur offrir de délicieux moments.
Tout va donc plutôt bien sous Vichy et sous l’Occupation. Mais il y a quand même des choses qui perturbent la belle insouciance de l’époque. Le 3 juin 1942, Le Cri du Peuple de Jacques Doriot s’enthousiasme en apprenant que les juifs seront dorénavant obligés de voyager dans le dernier wagon des rames du métro parisien. « Une saine mesure qui réjouira tous les Français qui ont de bonnes raisons de ne pas côtoyer les frères de race de Blum et consorts. » Encore quelque chose de dérangeant. Le 8 août de la même année, Le Petit Parisien exulte. « Le terroriste David Grunberg, 19 ans, Juif et communiste a été exécuté ce matin. Justice est faite. »
Mais il ne faut quand même pas trop noircir Vichy. On ne va pas jouer les rabat-joie parce que des « frères de race de Blum » ont été obligés de prendre tel wagon plutôt qu’un autre. D’autant plus que dans les trains en partance pour Auschwitz, les gendarmes de Vichy qui les convoyaient leur ont permis de monter dans tous les wagons… Et on ne va pas faire un plat pour un lycéen, Juif et communiste, guillotiné. Il n’avait qu’à aller au cinéma et au théâtre comme tout le monde.
*Photo: wikicommons.
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