Les lobbys de l’agriculture cellulaire tiennent beaucoup à ce qu’on qualifie la « viande artificielle » de « viande ». C’est un choix marketing participant d’une guerre sémantique, visant à obtenir la confiance du consommateur. Entretien avec Paul Margaron, étudiant à l’Ecole de Guerre économique.
Dans un rapport, publié mi-juin, l’Ecole de Guerre Economique alerte sur les risques sanitaires liés à l’agriculture cellulaire.
Tout d’abord, les produits cellulaires font référence à de la viande cultivée à partir de cellules. Rappelons que la viande est composée de muscles, eux-mêmes composés de cellules. Le but de la viande artificielle est donc de recréer un véritable tissu musculaire, dont la structure se rapproche de celle de la viande. Pour ce faire, il faut prélever des cellules souches de muscles, sur un tissu animal. Les cellules souches sont des cellules indifférenciées, capables de s’auto-renouveler, de se multiplier à l’infini, afin de former ou régénérer un tissu.
A la suite du prélèvement, on laisse donc proliférer ces cellules souches de muscles dans un milieu nutritif composé de protéines, d’acides aminés, d’hormones et d’autres facteurs de croissance. Celles-ci vont s’arrimer à des biomatériaux servant « d’échafaudage » pour, enfin, former des amas de cellules musculaires. Ce sont ces nouvelles fibres musculaires obtenues que l’on nomme « viande cellulaire ». Néanmoins, la viande « traditionnelle » contient également des nerfs, des réseaux sanguins et des tissus conjonctifs qui ne sont eux pas reproduits. C’est pourquoi les autorités de sécurité alimentaire ne considèrent pas encore la viande « in vitro » comme de la vraie viande, puisqu’elle est uniquement un assemblage de fibres musculaires, et que ses qualités nutritionnelles ne sont de fait pas les mêmes. La technique de prélèvement pourrait en outre présenter des risques de contamination et, de plus, pour passer des cellules souches aux cellules musculaires, on utilise des hormones pouvant provoquer un dérèglement hormonal ou l’augmentation des risques de cancer. Bon appétit !
Causeur. Pouvez-vous expliquer à une néophyte comment crée-t-on de la viande en laboratoire ?
Paul Margeron. Cinq étapes sont nécessaires pour créer de la viande en laboratoire. La première étape consiste à prélever des cellules souches sur un animal (par biopsie). Une fois ces cellules prélevées, elles sont placées dans un bioréacteur. La troisième étape consiste alors à nourrir ces cellules à l’aide de facteurs de croissance. Cette étape est problématique à plusieurs titres. Elle est d’abord problématique puisqu’elle nécessite d’utiliser du sérum fœtal bovin, lequel est prélevé sur une vache en gestation et conduit au décès du veau. Mais cette étape est surtout problématique car des hormones de croissance, pourtant interdites pour le bétail, peuvent être utilisées. C’est donc en se nourrissant de ces facteurs de croissance que les cellules se multiplient et prolifèrent. On sort alors les cellules des bioréacteurs et on les mélange à différents aliments pour améliorer leur aspect visuel ainsi que leur goût. A noter que le problème de la contamination de ces produits par des bactéries est très important dans la mesure où ils ne disposent pas de système immunitaire.
Il convient cependant de noter que cette manière de procéder que je viens de vous décrire semble aujourd’hui désuète. Pour réduire les coûts de production, les industriels de l’agriculture cellulaire ont carrément recours à la modification génétique pour améliorer la rentabilité et la qualité de leurs produits. A titre d’exemple, la modification génétique des cellules souches permet de ne plus avoir à prélever des cellules sur un animal. Les cellules d’origines sont en effet modifiées pour devenir cancéreuses, c’est-à-dire pour qu’elles se multiplient indéfiniment. Le recours aux modifications génétiques présente aussi le risque potentiel de rendre ces produits résistants aux antibiotiques…
Votre rapport parle d’une « révolution » qui « inquiète ». Quels dangers sanitaires avez-vous identifiés dans la consommation de viande artificielle ? De quel recul disposons-nous à ce jour pour les mesurer ?
La liste des dangers sanitaires est longue. Le rapport « Viande artificielle, la révolution qui inquiète » (https://www.ege.fr/infoguerre/viande-artificielle-la-revolution-qui-inquiete) en présente quelques-uns. Au premier rang de ceux-là, on peut évidemment évoquer le problème de l’ingestion de cellules cancéreuses. Aucune étude n’a été menée sur le potentiel cancérigène des produits cellulaires. Plus encore, l’utilisation d’OGM entraîne un risque de dérives génétiques qui n’est pas maîtrisé. Il convient, par ailleurs, d’évoquer les risques qui sont liés à l’ingestion des facteurs de croissance et à leur élimination. Comme évoqué précédemment, la production de viande cellulaire implique l’utilisation d’additifs (dont certains sont normalement interdits). La question de l’élimination de ces additifs pose donc question. Qui plus est, l’absence de système immunitaire des cellules fait qu’elles sont incapables d’éliminer les toxines comme le feraient les vrais animaux.
Reste que, au-delà de ces dangers, il est particulièrement inquiétant d’observer qu’il n’y a, à ce jour, aucun recul en termes scientifiques. Des experts mettent ainsi en exergue le manque de recherche et de données sur l’innocuité des produits cellulaires. Les dangers sanitaires évoqués précédemment n’ont, a priori, jamais fait l’objet d’étude et certainement pas d’études indépendantes. Il semble donc légitime de s’inquiéter de la mise sur le marché d’aliments pour lesquels il n’y a aucune preuve de leur innocuité.
Quels sont les acteurs qui souhaitent se lancer dans la production de viande artificielle ?
Le nombre d’acteurs qui se lancent dans la production de viande artificielle est exponentiel. Il apparaît cependant que trois pays concentrent une grande partie des start-ups les plus avancées : les Etats-Unis, Israël et les Pays-Bas. En dépit de cette image d’une industrie balbutiante, il importe de comprendre que les géants de l’agroalimentaire ainsi que les magnats de la Silicon Valley sont en embuscade. Ils financent en effet une grande partie des entreprises de ce secteur.
Si vous voulez des noms, je peux par exemple vous citer des milliardaires (tels que Li Ka-shing, Bill Gates et Richard Branson), mais aussi des acteurs du secteur de la viande aux Etats-Unis (Cargill ou Tyson Foods) ou en Europe (PHW, Migros ou Grimaud). Cet état de fait pousse d’ailleurs l’essayiste Paul Ariès à dire que « les champions de la viande sale d’hier sont les champions de la fausse viande de demain » !
L’Union européenne est-elle prête à accueillir ce nouveau marché ? Quand verrons-nous débarquer en France de tels produits ?
S’interroger sur la capacité de l’Union européenne à accueillir ce nouveau marché revient à s’interroger sur l’impact qu’il aura dans différents domaines. Au plan sanitaire, nous avons d’ores et déjà souligné que le manque de recul scientifique témoigne de l’incapacité des industriels à prouver que la viande artificielle est saine. L’Union européenne n’est donc pas prête de ce point de vue-là. L’Union européenne ne semble pas non plus prête au niveau socio-économique. Le développement d’un tel marché pourrait en effet supplanter le système agricole traditionnel.
Il apparaît toutefois que l’Union européenne est prête à accueillir ce nouveau marché au plan légal. De fait, la Commission européenne s’attend à recevoir des demandes d’autorisations de mise sur le marché dès cette année. Une fois que ces demandes auront été déposées, la viande artificielle pourrait se retrouver dans nos assiettes en 10 mois. La commercialisation, sur le marché européen, est donc attendue dès 2023.
La viande artificielle n’est-elle pas un moyen de pallier l’élevage intensif, nocif pour le climat, et de répondre à ceux qui s’inquiètent de la souffrance animale ?
Sur le papier, et donc en théorie, l’agriculture cellulaire est effectivement la solution à tous ces problèmes. Certains éléments, cependant, nous permettent de douter de la capacité de l’agriculture cellulaire à tenir ses promesses.
L’argument de la fin de la souffrance animale sera, à terme, probablement atteint. Il n’empêche que les brevets des industriels de l’agriculture cellulaire témoignent de l’utilisation de sérum fœtal bovin. Ce sérum est, rappelons-le, prélevé sur une vache en gestation et conduit au décès du veau. L’argument de la souffrance animale n’est donc pas totalement recevable à ce jour.
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L’argument du climat n’est pas davantage recevable pour le moment. Les études qui ont été menées jusqu’à aujourd’hui sont limitées et de nombreux spécialistes considèrent les résultats comme étant « largement spéculatifs ». Le fait que ces études aient été menées par les industriels eux-mêmes laisse craindre de potentiels conflits d’intérêts. La méthode utilisée peut d’ailleurs être critiquée, puisque ces études tablent sur une utilisation d’énergie 100% renouvelable ce qui est impossible. Plus encore, l’agriculture cellulaire rejettera du CO2 dans l’air alors que l’agriculture rejette elle, du CH4 (méthane). A long terme, le développement de l’agriculture cellulaire pourrait donc être pire pour l’environnement, puisque le CO2 ne disparaît jamais de l’atmosphère, tandis que le CH4 a une durée de vie de seulement 12 ans…
En dépit de l’irrecevabilité des autres arguments, il faut concéder que l’agriculture cellulaire dispose d’une réelle capacité à pallier l’élevage intensif puisqu’elle pourrait se substituer à ce secteur. Reste que, dans la mesure où nous s n’avons aucune preuve de l’innocuité de la viande artificielle, le système agricole reste notre meilleure chance. Le système agricole fait des efforts considérables, comme en témoigne le développement de filières sans antibiotiques par exemple. Pallier l’élevage intensif passera donc plutôt par la poursuite de la métamorphose du système agricole.
Comment les industriels de la viande peuvent-ils convaincre les consommateurs de passer le pas qui est aussi une bascule culturelle ou anthropologique ?
Pour opérer cette bascule culturelle et anthropologique, les industriels de la viande artificielle déploient une stratégie qui repose sur quatre axes : le développement d’un narratif, la transparence radicale, l’assimilation et la stigmatisation de l’adversaire et la guerre sémantique.
La première action des industriels de l’agriculture cellulaire a été de développer un narratif qui leur permettrait de légitimer le développement de leur technologie. La légitimation de cette technologie permet en effet de favoriser l’acceptation par le consommateur, mais permet surtout de capter des financements. Il n’est donc pas étonnant de voir que ce narratif table sur les arguments qui nous préoccupent aujourd’hui : bien-être animal et environnement en tête.
Le développement de ce narratif répond aussi à un problème identifié par les industriels : celui d’être comparé avec Monsanto. Pour éviter cela, les industriels ont décidé d’adopter une stratégie dite de « transparence absolue ». A l’inverse de Monsanto qui restait secret sur ses processus de production, les industriels de l’agriculture cellulaire communiquent beaucoup. Il faut cependant noter que leur communication peut parfois s’arranger avec la vérité… A titre d’exemple, on entend souvent qu’il est possible de se passer de sérum fœtal bovin, mais on ne dit pas qu’il faut utiliser des OGM pour cela par exemple !
Le troisième ressort qui permet de convaincre les consommateurs est celui de l’assimilation et de la stigmatisation de l’adversaire. Concrètement, les industriels de l’agriculture cellulaire se comparent avec les pires pratiques du monde agricole (souvent des pratiques qu’on trouve aux Etats-Unis), pour donner l’impression que l’ensemble du système agricole est mauvais. Cette stratégie, qui vise à tuer toute nuance, donne alors l’impression que l’agriculture cellulaire est la seule solution pour pallier un système défaillant. Il apparaît cependant que les pratiques agricoles sont beaucoup plus nuancées que ne le disent les industriels de l’agriculture cellulaire.
Enfin, il est très important de souligner que les industriels de l’agriculture cellulaire mènent une véritable guerre sémantique. En imposant les mots qu’ils souhaitent, ils orientent le débat et manipulent nos perceptions. Nicolas Reich, conseiller du lobby Agriculture Cellulaire France écrit par exemple que : « le terme « viande » peut donner au consommateur un sentiment de familiarité et de continuité pour un produit nouveau – et en réalité très différent – tel que la viande de culture ». Il n’est pas étonnant de voir que les lobbies de l’agriculture cellulaire ouvrent pour obtenir cette dénomination pour leurs produits.
Pour finir, on peut souligner que les partisans de l’agriculture cellulaire tentent peut-être de nous manipuler grâce à des tests d’acceptabilité. Nathalie Rolland, directrice du lobby Agriculture Cellulaire France, a en effet mené de nombreux tests de ce genre. La manière de poser les questions peut inciter les gens à se montrer favorables à la consommation de viande cellulaire. L’utilisation de ces résultats pourrait alors convaincre les autres de se laisser tenter : c’est ce qu’on appelle la « preuve sociale » et c’est une technique de manipulation décrite par Cialdini notamment.