J’ai longtemps cru que la féminisation de la société française annoncée par Alain Soral et décrite par Éric Zemmour était un épiphénomène, une mode curieuse et innocente, une impasse risible. Dans le bâtiment, je ne l’ai jamais rencontrée mais il faut reconnaître que, sur les chantiers où je menuise, je suis souvent le seul à parler français. Ailleurs non plus, je n’avais pas remarqué que les hommes devinssent de moins en moins mâles, mais il est vrai que je ne vais jamais chez le coiffeur et qu’en général, je prête moins d’attention aux hommes qu’à leurs femmes. J’avais entendu parler, comme tout le monde, des « métrosexuels » qui prennent rendez-vous pour une épilation ou se tartinent la tronche de crème avant de se coucher, mais que m’importe ! S’ils laissent sur leur faim les femmes qui ont du goût pour leur contraire, c’est tant mieux, j’adore passer pour le dessert.[access capability= »lire_inedits »]
Les hommes sont sommés de se soumettre aux croyances féminines
En réalité, cette fameuse féminisation en marche ne pousse pas seulement les hommes à baisser les armes pour s’emparer des miroirs, elle les somme de se soumettre aux croyances féminines sous peine d’être ringardisés et impose à tous, comme valeur suprême, la plus vieille des recettes de bonne femme : l’amour. En Occident, l’amour est devenu la religion comme le Père Noël est le dieu des enfants et, si l’on peut encore pratiquer sans être croyant, les plus fanatiques ont tendance à prendre ses commandements au pied de la lettre. Les rares mécréants, athées ou infidèles, généralement considérés comme des brebis égarées, assistent consternés à cet aveuglement collectif. Partout, le cœur claironne sa suprématie sur la raison et répand le règne totalitaire du sentiment. On ne s’étonne plus de vivre dans un monde où l’armée pacifie, où les flics ne tirent plus, où les juges sont pleins de compassion et où, pour finir, les directeurs de prison tombent amoureux. Ainsi, le responsable de la maison d’arrêt de Versailles qui accordait des avantages contre des faveurs à sa prisonnière a déclaré avec le plus grand sérieux, aux gendarmes qui l’interrogeaient, être tombé fou amoureux d’Emma − c’est le nom de la jeune femme qui servit d’appât dans l’affaire Ilan Halimi. Alors qu’il est tout à fait capable de tenir en respect des criminels endurcis, des terroristes, des psychopathes ou des mafieux, le maton d’aujourd’hui n’est pas armé pour garder une femme. Le gilet pare-balles du gardien de l’ordre n’arrête pas les flèches de Cupidon et on peut toujours rire du nigaud qui mord à un aussi gros hameçon… mais que celui qui n’a jamais été pêché lui jette la première pierre !
Il faut aimer ! Voilà ce que clame le monde féminisé et civilisé
L’histoire malheureuse de ce geôlier en chef mérite qu’on s’y attarde parce qu’elle nous raconte notre époque. La reine Margot se meurt pour Boniface de la Mole, Mathilde et Madame de Rénal se compromettent et se perdent pour Julien Sorel emprisonné, Edith Piaf chante l’Hymne à l’amour : « Je renierais ma patrie, Je renierais mes amis, Si tu me le demandais… » Aujourd’hui, des femmes épousent en prison les pires ordures, de Carlos à Guy Georges. Mais c’est ici un homme qui reprend ces rôles jadis exclusivement réservés au « sexe faible ». Aucun chanteur contemporain de Piaf n’aurait interprété ces mots-là : c’eût été simplement contre nature. Vous imaginez Gabin ou Maurice Chevalier… Depuis, Brel a chanté : « Je veux être l’ombre de ton chien… », et Julien Clerc ou Michel Jonasz sont à genoux, voire à plat ventre quand ils chantent l’amour. Depuis, tous les branleurs en cuir et aux poses rebelles qui font la joie des Inrocks rampent à leur tour et reprennent Iggy Pop qui chante : « I wanna be your dog. » Dans notre culture classique, la littérature, l’opéra ou le théâtre de Molière sont pleins de vieux barbons qui usent de leur position pour abuser ou épouser des jeunettes, mais ce n’est pas ce rôle que notre imbécile carcéral a voulu endosser. Il a préféré au caractère du mâle dominant celui de l’amoureux éperdu, esclave consentant. Dans son esprit qui ne voit pas plus loin que le bout de son demi-siècle, c’est bien, c’est moral, c’est normal. Voilà où est la norme pour le mâle occidental en 2010.
Emma n’a pas déclaré qu’elle avait agi par amour. Je suppose qu’elle est prête à passer des années en prison mais pas à passer pour une idiote devant la France entière ou au moins devant sa « France à elle », comme dirait Diam’s. Née d’un mariage forcé en Iran, violée par son oncle, victime d’une tournante, l’amour n’était pas au programme dans la vie de cette victime devenue tentatrice. Comme ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, la jeune femme était armée pour agir en redoutable prédatrice quand elle a croisé le chemin de notre benêt pénitentiaire, et les barreaux de la cellule qui auraient pu le protéger n’ont rien changé à l’issue d’un combat joué d’avance. Il eût fallu d’autres défenses pour qu’il ne finît chair appâtée.
Il faut aimer ! Voilà ce que clame le monde civilisé et féminisé comme on chante sur le pont du Titanic, incapable de voir qu’on abuse de lui et encore moins de se défendre, car l’amour rend aveugle. Voilà ce que nous dit le monde chrétien par le martyre des moines de Tibhirine, morts en laissant le monde et leur village désemparés et désarmés, ce qui nous fait un beau film et une belle jambe. Il est temps de prendre les faiblesses du cœur pour ce qu’elles sont, de prendre au sérieux les dangers auxquels elles nous exposent et d’œuvrer au redressement raisonnable, responsable, masculin des esprits qui sera notre salut. On pourrait commencer par remettre au programme Rousseau, qui nous dit que : « L’amour a été inventé par les femmes pour renverser le rapport de forces dans le couple. » Davantage que l’étude de Madame de Lafayette, même et surtout dans les concours administratifs, ça peut servir.[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !