Avec la fête de la vertu à Salency, le concept de virginité chez les jeunes filles fait un timide retour à l’aube des années 2020. Aussi bien chez certains catholiques que chez les musulmans.
Au milieu de la torpeur estivale, un article du Parisien a attiré mon attention : « A Salency, la pureté des filles sera bien célébrée en 2019 ». En effet, cette tradition surannée qui mettait à l’honneur une Rosière : « jeune fille à qui on décernait une couronne de roses en récompense, pour sa réputation de vertu » a fait débat dans la commune. « Les critères de sélections laissent perplexe le maire, Hervé Deplanque, la Rosière vient en effet récompenser une conduite irréprochable, la piété, la modestie et… la virginité, c’est un critère qui me gêne et sur lequel il faudra sans doute revenir, déclare l’élu. »
Cependant, même si le critère de virginité n’est plus retenu dans les rares communes qui font encore perdurer cette tradition fleurant bon les nouvelles de Maupassant, Bertrand Triboult, de la confrérie St Médard, à l’origine du retour de cette célébration centenaire, ne transigera pas. Il entend bien respecter les critères à la lettre mais il n’y aura pas d’examen médical, il dit s’en remettre, comme à l’époque, à la « rumeur publique ». Laurence Rossignol, sénatrice PS de l’Oise et ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, n’a que mollement réagi à cette lubie – il est vrai qu’il n’y a pas de porc à balancer : « Je comprends la perplexité du maire. La Rosière me parait être une fête désuète. Il y a mille autres façons de d’honorer les femmes qu’à travers ces valeurs traditionnelles, antérieures à leur émancipation ».
Justement, le concept de virginité chez les jeunes filles ne ferait-il pas un timide retour à l’aube des années 2020 ? D’après un article de Madame Figaro datant de mars 2018, il n’en est rien, car les jeunes filles toujours vierges après 20 ans se sentent « stigmatisées ». Les athées sont sans surprise les plus nombreuses à avoir succombé aux plaisirs de la chair dès l’âge de 16 ans, (40 %), contre 25 % des catholiques et 14 % des musulmanes. Ceci dit, lorsqu’on se balade sur Google, on se rend compte que la virginité reste un problème central pour celles-ci. D’après le « portail du monde arabe » Firdaous, « Une fille qui n’est pas vierge le jour de son mariage est une traînée, elle déshonore sa famille et celle de son époux ». Mais pas de panique, il est possible de se faire refaire l’hymen et même de s’en offrir un artificiel en ligne pour la modeste somme de 10 dollars. L’honneur est sauf.
Ce fond de l’air puritain n’est-il donc qu’une vue de l’esprit de ma part ? Non : l’historienne Yvonne Knibiehler s’interrogeait déjà en 2012 sur le retour des hyménoplasties chez les musulmanes et de celui des vierges consacrées chez les catholiques, dans son ouvrage La virginité féminine : mythes, fantasmes, émancipation paru chez Odile Jacob. Elle explique que le concept sacré de virginité est apparu avec le christianisme : « Le christianisme a bouleversé la notion de virginité, elle n’est plus un état du corps mais une vertu morale. Créé à l’image de Dieu, l’homme doit, pour être fidèle à cette vocation, faire triompher l’esprit sur la chair : le corps désirant, sexué qui tire l’homme vers l’animalité ». Dans la Grèce Antique, la virginité ne revêtait pas encore l’idée de pureté. Trois déesses l’avaient choisi : Athéna qui protégeait la Cité, Artémis, les jeunes et Hestia, le feu, symbole, lui, de pureté. « Les Grecs savent la puissance de la sexualité, mais signalent avec ces trois déesses qu’elle est indésirable en certains lieux et à certains moments ». A l’image de ces déesses antiques, les jeunes filles, hors principes religieux, qui refusent de se plier aux diktats d’une défloration obligatoire à l’adolescence auraient-elle une intuition ? Non pas que la sexualité soit devenue indésirable mais sacrément compliquée. Entre les néo-féministes, nos nouvelles bonnes sœurs, qui voient des porcs à tous les coins de rue et qui appellent de leurs vœux un contrat de consentement pré-rapport sexuel (projet de loi bien avancé en Suède) et l’omniprésence du porno qui a fait de la sodomie un passage obligé, je comprends que certains jeunes préfèrent rester à l’écart de ce chaos.
En 1968, alors que Paris jouissait sans entraves, Jean Eustache, cinéaste électron libre qui mettra fin à ses jours en 1981, filmait La Rosière de Pessac. A l’image du poète, le cinéaste est-il voyant ? L’idée de filmer une Rosière en pleine révolution sexuelle est-elle une simple provocation ou une prémonition que la liberté sexuelle ne s’accomplirait jamais ? Le propos de son film culte La maman et la putain tourné en 1973 nous fait pencher pour la seconde solution. « Super couple libre, je baise d’un côté, tu baises de l’autre, mais le baisage j’en ai rien à foutre » balbutie son actrice Françoise Lebrun. Le film n’est qu’un constat d’échec de Mai 68 et ses chimères. En 2018, nous assistons, de manière bruyante de la part des néoféministes, et plus silencieuse et marginale de la part des traditionalistes, à un retour au sexe codifié.
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