C’est suffisamment rare pour être souligné : la majorité dite silencieuse d’un petit coin de France, celle qui tente de survivre sur le plateau de Chambaran, en Isère, est massivement descendue dans la rue (ou plutôt sur les chemins) du village de Roybon, pour faire échec aux « zadistes ». Ces écologistes radicaux, qui pratiquent la transhumance entre les diverses « zones à défendre » de l’hexagone (Notre Dame-des-Landes, Sivens), croyaient avoir trouvé un nouveau terrain d’action favorable pour leur guérilla en venant soutenir les associations locales (très minoritaires) opposées à la construction d’un village de vacances Center Parcs au cœur de la forêt de Chambaran, située à l’ouest du département. Le 6 décembre, leur marche aux flambeaux pour « un Chambaran sans Center Parcs » a réuni moins de 500 personnes, alors que le lendemain, à l’appel des élus locaux de tous les partis, à l’exception d’EELV, une manifestation en rassemblait cinq fois plus, pour demander la poursuite des travaux de défrichage entravée par l’occupation du terrain par les zadistes. Encore traumatisés par la mort accidentelle du jeune Rémi Fraisse lors des affrontements entre les CRS et les manifestants opposés au barrage de Sivens, dans le Tarn, les pouvoirs publics n’étaient pas fait usage de la force pour empêcher les zadistes d’occuper le terrain, et de squatter une maison forestière située au milieu du chantier.
La situation est donc la suivante : au bout de sept ans d’études et de négociations entre les promoteurs du projet, le groupe « Pierre et Vacances » et les responsables politiques et administratifs de tous niveaux (Etat, Région, département, commune), le feu vert a été donné à la mise en chantier, sur un terrain de 202 hectares d’un Center parcs, un équipement de loisir comprenant 1000 « cottages » autour de divers équipements récréatifs, dont un « Aquamundo », énorme bulle transparente où l’on créée une atmosphère tropicale artificielle avec piscine chauffée, arbres et animaux exotiques, parcours aquatiques, jacuzzi etc…). Le concept de Center parcs c’est, pour employer le sabir globish en usage dans le secteur de l’industrie touristique, le low cost de la wellness, en clair un espace près de chez soi, où, pour une somme relativement modique, les familles de la classe moyenne inférieure peuvent aller buller, et évacuer leur stress, dans un décor similaire aux « resorts » luxueux des Maldives eu de l’île Maurice. C’est le Club Med sans « Med », un modèle économique qui privilégie le choix de zones déshéritées, donc à bas coûts fonciers, pour y créer des paradis tropicaux artificiels. Ainsi, les cinq Center parcs français se situent ainsi dans l’Aisne, les Vosges, le Limousin, L’Eure), dans des secteurs sans attraits touristiques évidents.
Le plateau de Chambaran est, depuis la nuit des temps, la Cendrillon du Dauphiné : la terre y est si stérile que les moines du Moyen-âge jugèrent inutile de procéder à son défrichement, préférant mettre en valeur les fertiles vallées alpines et des massifs plus propices au pastoralisme, comme la Chartreuse. La forêt de feuillus et les taillis qui recouvraient ce sol pauvre était, jadis, le domaine des bêtes sauvages, le refuge des bandits de grand chemin, des révoltés dont le plus célèbre est Louis Mandrin, héros populaire originaire des lieux, contrebandier et ennemi juré des fermiers généraux affameurs du pauvre peuple, condamné à mort et roué à Valence en 1755… Jusque dans les années soixante dix du siècle dernier, on exploitait la forêt pour produire du charbon de bois, longtemps le seul combustible disponible pour la métallurgie dans des régions dépourvues de houille. Cette activité, pratiquée par des ouvriers souvent venus de Sicile[1. Les descendants des travailleurs immigrés transalpins sont présents dans le monde politique dauphinois, comme le ministre André Vallini, ou l’actuel président du conseil général Alain Cottalorda, fervent défenseur du projet Center Parcs.] a complètement cessé depuis la fermeture des usines Pechiney d’Isère et de Savoie, qui utilisaient le charbon de bois pour la fabrication d’aciers spéciaux.
Trop éloignée des centres urbains pourvoyeurs d’emploi pour se transformer en une zone périurbaine du genre de celles décrites par le géographe Christophe Guilly, la région de Chambaran est devenue une poche de chômage endémique dans une région Rhône-Alpes pourtant moins défavorisée que d’autres. Le projet de Center parcs, de ses six cents emplois, directs et induits, dans un secteur où six mille personnes pointent à Pôle emploi est donc survenu à un moment où le spectre d la mort économique et de la désertification rôdait autour du village de Roybon (1400 habitants), et les terroirs alentours.
Pour donner une idée de l’emprise du Center Parcs sur le milieu naturel de la forêt de Chambaran, il faut mettre en regard les 202 ha de la zone aménagée, la superficie d’une grosse ferme beauceronne, avec les 7300 ha de bois, zones humides et taillis du plateau, dont déjà 250 ha ont été classés parc naturel, avec protection totale des animaux et végétaux présents sur le site. Il n’y avait pas péril écologique en la demeure, sauf à considérer que les tracas causés aux lombrics, lors des actions de défrichage et de construction, par les pelleteuses constituent un crime écologique imprescriptible. Aucun dommage irrémédiable au milieu naturel n’est donc à redouter de cet aménagement touristique, à moins que l’on estime que les écureuils, les grenouilles ou les papillons ont un droit patrimonial inaliénable à demeurer sur les quelques hectares constituant leur territoire. Le rapport de la commission publique d’enquête, devenu la bible des opposants écolos au projet, est un exemple parfait de chicane pseudo experte.
Les commissaires enquêteurs ouvrent tout grand leur parapluie en s’appuyant sur l’hyper réglementation française et européenne de protection de la nature et le fameux principe de précaution étendu à l’infini pour empêcher toute initiative, au motif que l’existant, tout l’existant doit être préservé, à l’exception des ressortissants de l’espèce humaine présents sur les lieux, et qui cherchent à y demeurer dans des conditions décentes…
C’est donc à raison que l’Etat et les collectivités locales (de droite comme de gauche) sont passés outre ces conclusions aberrantes et ont donné le feu vert au démarrage du chantier, même si quelques recours devant le tribunal administratif, dont l’issue défavorable aux opposants ne laisse guère de doute, ne sont pas encore tranchés. Peut-on laisser une minorité agissante, armée d’une foi inébranlable dans leur mission de sauvetage d’une nature fétichisée, imposer sa loi à une majorité populaire ne partageant pas ces convictions ? Même si l’on n’est pas un fan du modèle Center parcs, la question mérite d’être posée…
Mais restons en Isère, qui a le privilège, depuis mars 2014, d’avoir la première métropole régionale, Grenoble, dirigée par un maire EELV, Eric Piolle, qui s’est allié au Front de Gauche pour déboulonner la municipalité socialiste sortante. Eric Piolle est une sorte de Robert Ménard, version écolo-gauchiste, dont le talent consiste principalement à susciter le buzz autour d’initiatives spectaculaires dans sa ville pour soigner sa notoriété médiatique nationale. Dès son accession au siège de premier magistrat de la ville natale de Stendhal, Eric Piolle a décidé de diminuer de 20% les indemnités de membres de l’exécutif municipal. Incidence minime sur l’équilibre des finances, mais retombées médiatiques maximales ! Tout le monde sait bien, pourtant, que les misérables compensations financières accordées aux élus locaux (bien inférieures à celles de leurs homologues de pays européens comparables) ont pour conséquence un poids démesuré, dans les décisions, de la technostructure administrative territoriale face à des élus contraints de concilier les exigences de leur mandat et l’obligation de faire bouillir la marmite familiale…
Une fois l’effet fric estompé, on lance un nouvel attrape-gogos sur lequel les médias et réseaux sociaux se précipitent comme la truite sur la mouche : à Grenoble, les Verts sont écolos ! La preuve ? Ils vont remplacer les bruyantes et polluantes tondeuses à gazons et débrousailleuses thermiques par des « moutondeuses ». Il s’agit d’utiliser une race d’ovins originaires de l’ile de Soay, en Ecosse, pour transformer les espaces verts grenoblois en gazon anglais, tout en préservant, au nom de la biodiversité, une race promise, sinon, à l’extinction. On vit donc pendant quelques semaines, ces intéressants bestiaux pâturer dans les friches entourant le fort de la Bastille dominant la rive droite de l’Isère. Bingo ! Tout le monde en a causé, en oubliant que cette méthode de défrichage, économiquement rentable lorsqu’il s’agit de terrains inaccessibles aux engins traditionnels, est utilisée depuis belle lurette par des villes plus discrètes, Lille et Lyon par exemple, sur les terrains escarpés entourant les forts hérités de Vauban.
Les moutons sont donc rentrés à la bergerie, mais la soif de notoriété de M. Piolle semble inextinguible : la démocratie grenobloise sera par-ti-ci-pa-tive ou ne sera pas ! S’inspirant de la Suisse voisine, la nouvelle municipalité décide d’instaurer des « votations » à l’échelle locale : toute initiative portée par au moins 2500 signatures de citoyens devra obligatoirement faire l’objet d’un débat au conseil municipal, et toute proposition soutenue par au moins 8000 personnes sera soumise à un référendum. Malheureusement pour Eric Piolle, l’opposition de droite l’a pris au mot, et est actuellement sur le point de réunir les 8000 signatures demandant l’installation de caméras de surveillance destinée à lutter contre l’insécurité sur la voix publique. La nouvelle municipalité se piquant de privilégier l’approche préventive à la répression dite sécuritaire avait, d’ailleurs, remplacé l’intitulé du poste d’adjoint sur ces affaires, qui n’est plus chargé de la sécurité publique, mais de la « tranquillité », ce qui ne semble pas, toutefois, avoir provoqué une baisse notable des agressions et des incivilités dans l’espace urbain…Aux dernières nouvelles, toutes les astuces procédurières sont à l’étude dans le bureau du maire pour empêcher la tenue d’un référendum « caméras », dont l’issue est prévisible…
Don Quichotte avait ses moulins à vent, Eric Piolle a ses « sucettes » Decaux, ces panneaux de mobilier urbain à usage publicitaire (Ah ! les « leçons d’amour des dessous Aubade » quels doux souvenirs !), considérés par ces messieurs-dames de l’écologie politique comme une intolérable pollution de l’esprit des citoyens arpentant la ville. A notre connaissance, l’appel du peuple grenoblois à leur suppression n’a pas été déchirant, mais, là encore, l’effet buzz à été grandiose. David Piolle contre Goliath Jean-Claude Decaux, le Napoléon de l’abribus, ç’est grave vendeur ! Sauf que le manque à gagner, environ 150 000€ par an, intervient dans une conjoncture où les collectivités locales doivent se serrer la ceinture pour cause de réduction importante des dotations de l’Etat. Pour Eric Piolle, pas de problème : cette perte sera compensée par une baisse équivalente des « frais de protocole » de la Mairie, qui ne devrait, désormais, plus servir que des chips bio et du jus de pomme sans additif, en quantité limitée, lors des raouts officiels.
On aimerait bien le croire, mais il se trouve que, quelques jours plus tard, on apprenait la suppression brutale et totale de la subvention municipale de 400 000 € à l’orchestre classique « Les Musiciens du Louvre », dirigé par Marc Minkowski, seule institution culturelle de rayonnement international implantée à Grenoble. En matière de culture, la municipalité Piolle se veut résolument plurielle : Mme Catherine Bernard, est adjointe aux cultures, avec un s ! Et comme gouverner c’est choisir (Pierre Mendès-France a été député de Grenoble…), c’est plus simple de dégager Minkowski, délocalisable à Singapour ou Toronto en raison de son talent, que de baisser de 15% les subventions de tout le monde, pour cause de vaches maigres. Au cul la culture bourgeoise, Jean Philippe Rameau et même le régional de l’étape Hector Berlioz ! Tournée générale de shit dans les lieux culturels de la « diversité » épargnés par le couperet budgétaire !
Et c’est ainsi que Grenoble redevient doucement le Cularo[2. Henri Beyle, alias Stendhal, affectait, par mépris, de désigner sa ville natale par son nom celtique de Cularo, plus adaptée, phonétiquement, selon lui, à la médiocrité de ses édiles.] de Stendhal, où l’on ne pourra, comme l’avouait Henri Beyle que « foutre pour se désennuyer »… de la bêtise verte.
*Photo : XAVIER VILA/SIPA. 00699821_000063.
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