Égypte, Jordanie, Émirats arabes unis et Bahreïn reconnaissent désormais l’État hébreu. Tout le monde ne s’est pas réjoui des accords passés récemment entre Israël et des nations arabes. Pour preuve un titre ambigu du journal Le Monde. L’analyse d’Yves Mamou.
Coup sur coup, à l’instigation de l’administration Trump, deux royaumes arabes ont paraphé un accord de paix avec Israël. Les premiers, les Émirats arabes unis ont fait savoir à la mi-août 2020 qu’ils allaient normaliser leurs relations avec l’État hébreu. Moins d’un mois plus tard, Bahreïn a annoncé lui aussi son traité de paix avec Israël.
Ces deux accords historiques ont suscité plus de désarroi que d’enthousiasme dans les chancelleries européennes. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a réaffirmé sa volonté de rester « fidèle à une solution négociée à deux États (Israël-Palestine) » et Emmanuel Macron s’est empressé de téléphoner à Mahmoud Abbas, président de l’Autorité Palestinienne, pour l’assurer de la « détermination (de la France) à œuvrer pour une solution juste et respectueuse du droit international ». Ce qui se traduit par : « nous agirons pour que nul n’oublie les Palestiniens, ni la solution à deux États ».
La gêne des médias occidentaux
Les médias inféodés à cette diplomatie de la « solution à deux États » ont réagi eux aussi du bout des lèvres. Le 11 septembre dernier, Le Monde a ainsi fait un fort étrange usage de la typographie, en mettant entre guillemets l’expression « accord de paix » dans le titre de son article parlant du rapprochement entre Israël et Bahreïn. Comme si cet« accord de paix » n’en était pas vraiment un ; comme si deux accords de paix successifs d’États arabes avec Israël ne pouvaient décidément pas être pris au sérieux ; comme si ces deux accords de paix concoctés par Donald Trump ne méritaient aucune considération ; comme si ces traités de paix perdaient toute validité en officialisant une coopération ancienne – mais terriblement clandestine – entre Israël et les Émirats arabes unis.
Ces étranges comportements des chancelleries et des médias mainstream s’expliquent de deux façons.
– Le parti des médias et la diplomatie européenne affirment si fréquemment – et si inconsidérément – depuis quatre ans que Donald Trump est un être superficiel, incompétent et inconséquent, qu’ils se retrouvent aujourd’hui fort dépourvus : le crétin peroxydé bouleverse lentement mais surement les lignes de forces au Moyen-Orient sans qu’eux-mêmes aient rien vu venir.
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– Ces deux traités – sans doute suivis par d’autres – ont l’énorme avantage de faire sauter le verrou palestinien qui a progressivement, bloqué toute évolution au Moyen-Orient. Les Arabes du Golfe qui entretenaient des relations discrètes avec Israël incitaient depuis plusieurs années Benjamin Netanyahu à « régler le problème palestinien ». Faites la paix avec les Palestiniens et nous ouvrirons une ambassade dans votre pays. Ce à quoi Israël répondait invariablement : faisons d’abord la paix, ouvrez une ambassade et vous verrez que le problème palestinien finira pas se régler.
Le Premier ministre israélien avait parfaitement compris que la question palestinienne n’était pas faite pour être réglée. Le peuple palestinien, fabriqué par des États arabes qui ont refusé de les intégrer à leur population, réclame depuis les années 1970 un impossible « droit au retour » ; ces réfugiés partis 700 000 en 1948 et devenus six millions en 2020 n’ont jamais eu pour fonction ni pour ambition de faire la paix avec Israël. La question des « réfugiés » et celle de leur « droit au retour » sont deux armes sciemment construites par les pays de la Ligue arabe pour briser Israël.
Mais cette arme palestinienne a commencé insensiblement à se retourner contre ses concepteurs arabes. La révolution chiite de 1979 en Iran a fait de la question palestinienne un enjeu de pouvoir entre islamistes chiites iraniens et islamistes sunnites arabes.
Chiites contre sunites
Dès le début des années 1980, les Iraniens se sont saisi de la question palestinienne et en ont fait un outil de déstabilisation des régimes arabes sunnites. Ils ont créé le Hezbollah en 1982, au Liban, et l’ont armé et formé pour que cette milice soit en mesure de rivaliser avec les forces israéliennes. La guerre de 2006 entre le Hezbollah chiite et Israël, cette guerre qui a duré trois semaines – soit plus longtemps qu’aucune armée arabe a jamais tenu face à Israël -, a plus fragilisé les États arabes qu’enfoncé un coin dans l’invincibilité d’Israël. À cette occasion, le message que Téhéran a tenu aux populations arabes d’Égypte, de Jordanie ou des Émirats a été (en substance) on ne peut plus clair : « ce petit Satan sioniste que vos dirigeants corrompus sont incapables de détruire, nous les Chiites iraniens, nous les membres du Hezbollah, nous allons lui faire la peau ».
L’alliance du Hamas – qui règne à Gaza – avec le régime iranien à partir de 2013-2014, a eu deux conséquences majeures : l’Iran est devenu définitivement maître du conflit israélo-palestinien et tout espoir de paix s’est éloigné à jamais. L’arme palestinienne conçue par les Arabes pour les Arabes est aujourd’hui entre les mains du Hezbollah et du Hamas, deux mouvements au service de l’Iran.
Le Hamas entretient désormais une tension permanente avec Israël à la demande des Iraniens et incite l’Autorité Palestinienne à la surenchère contre Israël.
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Pour sortir de cette spirale infernale, les États hostiles à l’Iran – les États arabes et Israël – n’avaient pas d’autre choix que de se débarrasser du problème palestinien. Ce qu’ils entament progressivement aujourd’hui. Une opération délicate dans la mesure où ces mêmes États arabes, soixante ans durant, ont expliqué à leur opinion publique que tous leurs problèmes tenaient à l’existence de l’État d’Israël et au non-règlement de la question palestinienne.
Reconfiguration en cours
Le processus est désormais en cours : sauf accident, d’autres Etats arabes vont remiser aux oubliettes le problème palestinien et vont se rapprocher d’Israël. Un axe américano-israélo-sunnite a commencé de se constituer contre l’Iran et ses satellites irakien, syrien, libanais, yéménite… et palestinien.
– Dans cette nouvelle configuration, les Européens se trouvent face à un choix difficile. Quand en 2017, Donald Trump a dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien conclu par son prédécesseur Barack Obama, les Européens se sont opposés à lui. Pour préserver leurs échanges commerciaux avec l’Iran, les pays membres de l’Union européenne ont créé Instex, un outil destiné à protéger des sanctions américaines les entreprises européennes prises en flagrant délit de commerce avec l’Iran. Aujourd’hui que les Etats sunnites se débarrassent discrètement de la question palestinienne, que va faire l’Europe ? Va-t-elle s’accrocher à cette fiction de la « solution à deux États » et du « droit au retour » pour mieux marquer sa différence avec les États-Unis ? Va-t-elle faire alliance officiellement avec l’hégémonisme iranien contre les États pétroliers du Golfe et l’Arabie saoudite ?
Le voyage d’Emmanuel Macron au Liban (et ses contacts avec le Hezbollah) peuvent préfigurer un désarrimage de l’Occident européen avec l’Occident américain.
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