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Condamnation des époux Fillon: la séparation des pouvoirs en question


Condamnation des époux Fillon: la séparation des pouvoirs en question
François Fillon ce 29 juin 2020 © ACau/SIPA Numéro de reportage: 00969869_000006

Suite à sa lourde condamnation, le couple Fillon a décidé de faire appel. Le Tribunal correctionnel est-il qualifié pour juger de l’emploi des fonds attribués à un parlementaire ? Les explications de Maître Stanislas François.


L’indépendance de la Justice signifie deux choses. D’une part, qu’elle le soit réellement, d’autre part, qu’elle montre les apparences de cette indépendance, en somme, qu’elle ne laisse pas prise au soupçon.

Alors, en 2017, on pouvait légitimement s’insurger qu’une affaire judiciaire survienne en pleine période électorale et que fût opportunément mis en examen, deux jours avant dépôt des candidatures à la présidence de la République, l’un des protagonistes de l’élection. 

Aujourd’hui en 2020, nous ne pouvons que saluer la sagesse du Tribunal correctionnel d’avoir attendu le lendemain des élections municipales pour rendre son verdict afin que l’affaire Fillon ne parasite pas de nouveau le débat électoral.

Le Tribunal correctionnel aura donc suivi les réquisitions du Parquet : cinq ans de prison dont trois avec sursis, 375 000 euros d’amende et 10 ans d’inéligibilité pour François Fillon. 3 ans avec sursis 375 000 euros d’amende pour Pénélope Fillon, son épouse et ancienne assistante parlementaire.

On ne pourra pas reprocher au juge d’avoir rendu une décision politique. Assurément elle ne l’est pas, quand bien même elle a nécessairement des retentissements politiques, parce que le mis en cause, François Fillon est une personnalité publique et parce que les faits reprochés (l’emploi de son épouse) mettent en cause le fonctionnement d’une institution politique, l’Assemblée nationale.

Pour autant, la décision rendue en droit n’est pas évidente et elle amène deux interrogations. La première sur la qualification retenue par le juge, celle de détournement de fonds publics et, la seconde, sur le caractère intrusif de l’appréciation des faits qui met nécessairement en jeu les limites du principe de la séparation des pouvoirs.

  • Sur le détournement de fonds publics

Au sens de l’article R. 432-15 du code pénal, un détournement de fonds publics correspond à la situation dans laquelle « une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public ou l’un de ses subordonnés » détruit, détourne ou soustrait un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés qui lui ont été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission. 

À l’inverse d’autres dispositions du code pénal, par exemple celles sur la prise illégale d’intérêt, l’article R. 432-15 ne renvoie pas à la définition de « personnes investies d’un mandat électif public » et la qualification de « personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public » est en principe réservée aux personnes qui exercent sous l’autorité du pouvoir exécutif. Ainsi, l’application du délit de détournement de fonds publics à un parlementaire pouvait poser question

Ce n’est que par une décision du 27 juin 2018 que la Cour de cassation a tranché ce point, reconnaissant qu’un député, parce qu’il avait pour rôle d’exercer une fonction ou d’accomplir des actes dont la finalité était de satisfaire à un intérêt public, pouvait être considéré comme « personne chargée d’une mission de service public » et donc, se rendre coupable de détournement de fonds publics. On pourra alors toujours regretter l’empressement incroyable qui fut celui du Parquet en 2017 qui décida, en pleine période électorale, de poursuivre l’un des protagonistes principaux sur le fondement d’une infraction dont l’application à un parlementaire n’aura été précisée qu’un an plus tard.

  • Sur la séparation des pouvoirs

Et quand bien même le parlementaire est effectivement concerné par la qualification de détournement de fonds publics, peut-on vraiment considérer que des fonds publics ont été détournés ? Les fonds publics en cause sont ceux versés par l’Assemblée nationale à un parlementaire pour l’emploi d’un de ses collaborateurs. Et ils ont effectivement été versés par le parlementaire à l’emploi d’une collaboratrice, son épouse. Au-delà des soupçons légitimes de népotisme que l’emploi d’une personne de sa famille impliquent, se poser la question de l’existence d’un détournement, c’est réfléchir à ce que doit être, en principe, l’emploi de ces fonds, versés par l’Assemblée nationale à un parlementaire pour l’emploi d’un collaborateur. 

Chaque parlementaire dispose d’un crédit. Le parlementaire conclut avec son collaborateur un contrat de droit privé dans lequel le parlementaire définit librement l’organisation du travail et les tâches dévolues à son collaborateur. Aucun texte ne précise ni l’organisation ni le contenu de l’emploi de collaborateur parlementaire, celui-ci peut correspondre ainsi à différentes réalités : rédiger des discours, gérer un agenda, tenir des permanences, rédiger des notes, brumiser les jambes de son député, participer à des événements etc.

Être collaborateur parlementaire, c’est donc exercer une activité politique associée à un mandat électif. Ainsi, reprocher à Madame Fillon de n’avoir rien fait, rechercher si l’emploi de collaborateur était ou non fictif, c’est donc nécessairement se poser la question de ce qu’est un emploi de collaborateur. Le fait qu’un juge se pose cette question renvoie au principe de la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire l’immixtion du pouvoir judiciaire dans le pouvoir législatif. Ce principe de séparation des pouvoirs implique par exemple en France l’existence même du juge administratif. C’est le Conseil d’État qui juge le pouvoir exécutif et non l’autorité judiciaire. 

En principe, le contrôle des activités professionnelles incompatibles avec le mandat parlementaire appartient au bureau de l’Assemblée nationale et seul le pouvoir législatif lui-même est compétent pour apprécier et évaluer le travail d’un collaborateur parlementaire. Ce n’est pas le travail du juge.

En 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne avait demandé à Marine Le Pen de procéder au remboursement de 300 000 euros pour avoir rémunéré des cadres du Front national avec des fonds destinés à l’emploi de collaborateurs parlementaires. Si la Justice s’est ainsi prononcée, c’est parce qu’elle avait été saisie par le Parlement européen qui, lui-même, avait reconnu l’irrégularité de l’emploi des fonds publics. Rien de comparable donc dans l’affaire Fillon où l’Assemblée nationale n’a jamais bronché pour l’emploi des fonds versés à Madame Fillon. Au risque de heurter le principe de séparation des pouvoirs, le Tribunal correctionnel s’est livré à cet exercice. 

Les époux Fillon ont donc interjeté appel, alléguant notamment la méconnaissance de ce principe.



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