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Vente d’armes: mitraillons les lieux communs

Vendre des armes est essentiel à la Défense nationale


Vente d’armes: mitraillons les lieux communs
Démonstration de vol d'un Rafale, juin 2017. ©SIPA, Numéro de reportage : 00809920_000002.

Pour un Etat, la vente d’armes n’améliore pas seulement les chiffres du commerce extérieur. Il s’agit non seulement d’entretenir un levier essentiel de sa politique de défense mais aussi de maintenir un outil industriel indispensable à l’avenir de son économie. Obama l’avait parfaitement formulé en son temps. 


 

A l’instar des prix de l’immobilier et de la franc-maçonnerie, la question des ventes d’armes est un de ces petits marronniers médiatiques qui reviennent de temps à l’autre. Il arrive même qu’un journaliste exprime un brin de fierté patriotique en réécrivant une dépêche AFP qui annonce triomphalement les chiffres des exportations française de systèmes d’armement. Au printemps dernier, Le Monde a ainsi presque célébré les performances de l’industrie française de la défense en publiant sans commentaire les statistiques du Sipri (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm) qui font autorité dans le domaine.

Mais lorsqu’il s’agit de commenter les contrats d’armements signés avec des régimes pas très fréquentables ou des pays dans des guerres controversées, l’antimilitarisme reprend ses droits. Ce fut le cas au début de l’été après la publication du rapport annuel sur les exportations d’armes présenté par le ministère des Armées au Parlement, document que Mediapart a qualifié de « faussement transparent ». Par la même occasion, Mediapart citait un rapport des ONG dénonçant les ventes d’armes – notamment de chasseurs bombardiers Rafale – de la France à l’Egypte du maréchal Sissi.

Ainsi, d’après ce rapport, « en sept ans [entre 2010-2017], les livraisons ont été multipliées par 33 alors que la répression envers l’opposition s’est intensifiée ». Une autre critique récurrente cible les ventes à l’Arabie saoudite d’armes et de munitions utilisées dans la guerre que la coalition dirigée par Riad mène au Yémen.

Entre ces deux façons de traiter cette question compliquée (cocardière ou culpabilisante), rares sont les articles qui vont au-delà de ces réactions pavloviennes. Pourtant, vendre des armes n’est pas a priori condamnable. Pour le comprendre, il est utile de relire le magnifique discours de réception du prix Nobel de la paix de Barack Obama. Après qu’à la surprise générale, cette prestigieuse récompense a été accordé en 2009 au très fraîchement élu Président des Etats-Unis, Obama a tenu à rappeler au monde quelques principes que nous avons tendance à oublier.

« Le monde doit se rappeler que ce ne sont pas que les institutions internationales, les traités et les déclarations, qui lui ont apporté la stabilité après la Deuxième Guerre mondiale. [..] Oui, les outils de guerre ont un rôle à jouer pour préserver la paix. Et pourtant cette vérité doit coexister avec une autre : aussi justifiée soit-elle, la guerre promet une tragédie humaine. Par son courage et par son sacrifice, le soldat se couvre de gloire car il exprime son dévouement à sa patrie, à sa cause, à ses camarades de combat. Mais la guerre elle-même n’est jamais glorieuse et nous ne devons jamais la claironner comme telle.

Ces paroles devraient passer pour des évidences : la guerre fera encore longtemps partie de notre existence, et tout ce que nous tenons pour cher et indispensable continue à exister car nous (ou quelque autre) avons les moyens et la détermination de les défendre les armes à la main. Aux apôtres du « pas d’armes pas de guerre », l’ancien président américain répond par des arguments fondés sur un vieil adage : « si vis pacem para bellum », si tu veux la paix, prépare la guerre. Or, la disposition évidente d’être à tout moment en capacité de se défendre par l’usage légitime de la force dépend de la qualité, de la quantité et de la disponibilité des moyens matériels, autrement dit des armes et des munitions.

Maintenir et améliorer son outil militaire

Il faut donc pouvoir équiper nos armées de matériel idoine, fiable et disponible. Et plus on est maître des équipements, plus on est souverain dans les décisions concernant leur emploi. Un pays dépendant à 100% d’autres pays pour équiper ses armées n’a pas la maîtrise de son outil militaire. Le gouvernement d’un tel pays devrait toujours compter sur ses fournisseurs en cas de guerre pour remplir les stocks de munitions et pièces de rechanges, pour remplacer les équipements détruits et reconstruire ses armées une fois la guerre terminée.

Il s’agit donc de maintenir dans la durée – des décennies durant – un savoir-faire, des infrastructures et des compétences. Deux Etats ont plus ou moins atteint l’autosuffisance dans ce domaine : les Etats-Unis et la Russie. Un troisième, la Chine, rejoindra prochainement ce club très fermé. Tous les autres sont condamnés à établir des priorités et acheter ailleurs ce qu’ils ne fabriquent pas. Ces choix ont un double coût, économique mais aussi politique : les grandes puissances dominent ce marché et utilisent leurs industries de défense en tant qu’outil d’influence et de politique étrangère.

La vente d’armes, outil d’investissement et de diplomatie

La France se trouve donc dans une situation compliquée. D’un côté, l’autarcie en termes d’équipement militaire n’est pas à sa portée, faute de moyens. De l’autre, la France a des ambitions, notamment développer une politique étrangère vigoureuse et influente en Afrique, au Moyen Orient et en Asie-Pacifique (où la France, grâce à ses territoires, a un domaine maritime conséquent). Sur un autre front, Paris entend soutenir une autonomie stratégique européenne, ce qui veut dire concrètement – a fortiori depuis l’élection de Trump – pouvoir tenir tête à la Russie. Face à ces contraintes, le choix de la France a été de maintenir des capacités prioritaires « à la maison » d’un côté (sous-marins nucléaires, avions de chasse ainsi que des multiples systèmes et technologies) et de l’autre d’acheter des équipements ou de coopérer dans la fabrication du reste.

On vend donc pour pouvoir acheter le nécessaire moins cher (plus Dassault obtient de commandes, moins l’État paie par unité), pour pouvoir maintenir des chaînes de fabrication en activité pendant longtemps (ce qui les rendent disponibles pour les forces armées françaises) et pour pouvoir faire évoluer le matériel grâce aux clients étrangers dont les achats financent les programmes de recherche et développement. Concrètement, c’est grâce aux contrats avec l’Egypte, l’Inde et le Qatar que la Marine et l’Armée de l’air françaises auront plus de Rafales de meilleure qualité, à moindre prix.

Pour pouvoir continuer à garder la main sur ce qui a été considéré comme essentiel, acheter le reste et créer des alliances sur les zones prioritaires (Europe, Afrique, MO et Asie-Pacifique), le commerce d’armes est un passage obligé pour la France. En d’autres termes, aussi longtemps que la France souhaite jouer un rôle important dans les affaires du monde, un rôle dont son siège de membre permanant du conseil de sécurité de Nations Unies est l’attribut principal, elle doit pouvoir jouer un rôle important dans le marché d’armes. Or, les contrats d’armement sont l’un des meilleurs « ciments diplomatiques » possibles.

Ces engagements lient client et fournisseur pour des longues années de coopération. Avec certains clients – notamment l’Inde – ces contrats sont accompagnés d’échanges de technologies et de ce que l’on appelle « offsets », c’est-à-dire l’engament pris par le fournisseur de devenir le client de son client, pour un somme représentant une partie du contrat initial. Ces échanges ne se limitent pas au domaine de la Défense et ouvrent la voie à un resserrement général des liens économiques entre les deux pays. Acheter à la France un chasseur bombardier, un sous-marin ou une frégate c’est s’engager à entretenir des liens privilégiés avec elle pendant des décennies.

La contribution de l’industrie d’armement à l’économie 

Et si le positionnement stratégique de la France dans le monde l’impose, des considérations d’ordre économique plaident aussi pour une politique intelligente de ventes d’armes. Tout d’abord, il y a le produit direct des transactions souvent colossales et leurs retombées évidentes en termes d’emplois (l’industrie de la défense emploie aujourd’hui 165 000 personnes). Cette industrie, drainant d’énormes moyens publics dans une course perpétuelle à la sophistication face à des adversaires redoutables, sert de locomotive à l’économie nationale. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’économie américaine depuis la Seconde guerre mondiale. C’est au projet spatial, au nucléaire et à l’armement qu’on doit la plupart des percées technologiques dans tous les domaines imaginables, la plupart des produits et des services faisant partie de notre quotidien y compris la médecine, qui s’appuient sur l’informatique et l’imagerie (IRM par exemple) développées par le secteur R&D de la Défense à des fins militaires. Les capacités françaises en termes d’informatique et de modélisation sont liées aux efforts considérables consentis dans le cadre du développement de la dissuasion française et notamment la possibilité de tester des armes nouvelles par simulation sans avoir besoin comme au XXème siècle de procéder à des essais nucléaires. D’ailleurs, si l’entreprise informatique française Bull renaît en quelque sorte de ses cendres dans les années 2000, cette résurrection n’est pas sans lien avec le développement, pour les besoins du CEA et la simulation des essais nucléaires, de puissants super-ordinateurs.

Pour mieux comprendre l’effet de l’industrie de la Défense sur l’économie nationale, prenons l’exemple des activités de recherches dans le domaine nucléaire militaire dans la région de Grenoble. Cela commence au milieu des années 1950 avec l’installation à Grenoble d’un centre de recherches du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique). Six décennies plus tard, tout un écosystème spécialisé dans les nanotechnologies, les nouvelles énergies et la santé voit le jour.

Le rôle des centres de recherche militaires

N’oublions pas non plus le rôle qu’ont joué ces centres de recherche dans la formation des futurs entrepreneurs. C’est le cas de Soitec, une entreprise fondée en 1992 dans la même région par deux anciens chercheurs du CEA-Leti (Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information) et spécialisée dans le domaine des matériaux semi-conducteurs pour le marché électronique. Aujourd’hui, Soitec emploie un millier de personnes réparties entre ses différents sites – à Bernin près de Grenoble, mais aussi aux États-Unis et en Asie. Ce cas illustre la portée très large des investissements publics en recherche et développement dans le domaine de la défense et l’étendue de leur effet sur l’économie et la société d’une région. Dans l’écosystème créé près de Grenoble autour et grâce aux laboratoires du CEA, entreprises, universités et pouvoirs publics ont poussé très loin les capacités acquises à l’origine pour la défense nationale. La possibilité d’exporter, de financer des projets grâce aux clients étrangers et de créer de coopérations avec d’autres pays est au cœur même de ce genre de réalisations.

Le tableau est donc complexe et dépasse largement les positions et argumentaires simplistes qu’on peut trouver dans des médias non spécialisés. La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou non vendre des armes. Les ventes d’armes sont la condition sine qua non de l’existence d’une industrie française de la défense et de la possibilité d’équiper convenablement les armées françaises. Aussi longtemps que nous vivons dans le monde décrit par Obama dans son discours de réception du prix Nobel, et exposé en termes moins lyriques par les Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale, les ventes d’armes constitueront un pilier de la défense nationale française.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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