Pourquoi les Vénézuéliens n’ont plus de papier toilette


Pourquoi les Vénézuéliens n’ont plus de papier toilette
Manifestation contre Maduro. Sipa. Numéro de reportage : AP21906178_000011.
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Manifestation contre Maduro. Sipa. Numéro de reportage : AP21906178_000011.

Les Vénézuéliens ne peuvent même plus acheter de papier toilette. C’est le refrain qui revient en boucle dans l’opinion et la presse de leurs voisins colombiens.  Après réflexion, s’il fallait se passer de papier toilette, je suis sûr qu’on s´en sortirait très bien : comme beaucoup sur cette planète, on utiliserait de l’eau, versée dans une casserole ou prise directement à la source, au bord d’une rivière. Seulement, il ne s’agit pas que de papier. Il s’agit de bouffe, et même de médicaments. Quatre heures de queue devant une supérette pour s’entendre dire qu’il n’y a plus rien à acheter, c’est pour le moins frustrant. Et pour ceux qui auraient réussi à avoir un kilo de haricots rouges au prix fort, existe alors le risque de se faire dévaliser au coin de la rue à main armée. À l’époque de Chavez, on était rationné mais on pouvait au moins trouver quelque chose.

Une révolte populaire

Il faut dire que 2016 a très mal commencé pour Maduro et sa garde rapprochée. Certes, 2015 avait vu Caracas couronné du triste titre de « ville la plus violente au monde », mais depuis le début de l’année, tout s’est enchaîné : chute du prix du baril de pétrole, sécheresse puis pénurie d’électricité (hydraulique), sans oublier l’inflation, officiellement de 180 % pour 2015 (275% selon le FMI). Les députés ont vu leurs salaires suspendus, tandis que les fonctionnaires ont été priés de rester chez eux le vendredi pour faire des économies d’énergie. Le président a même suggéré aux Vénézuéliennes de ne plus utiliser leur sèche-cheveux, arguant sur le ton d’une boutade « qu’une femme est plus belle quand elle se sèche les cheveux naturellement, avec les doigts. » Il a de l’humour ce monsieur.

On pourrait en rester à ce trait d’humour (mais en est-ce bien un ?) et passer à un autre sujet si la situation n’était pas parvenue à un degré de tension quasi explosif. Tandis que Maduro a décrété « l’état d’exception » et s’est ainsi attribué le contrôle de l’Assemblée nationale, du Tribunal suprême de justice et de l’armée, l’opposition, majoritaire au Parlement, a appelé la population à désobéir au gouvernement et à l’armée. Chacun au Venezuela connaissant une personne ayant été agressée à main armée, séquestrée ou assassinée, et ayant acheté au moins une fois dans l’année des aliments ou des médicaments au marché noir, il y a des raisons pour le moins compréhensibles de descendre dans la rue. Mais pour le gouvernement, la crise est imputable au grand capital étranger, Etats-Unis en tête, qui organise un complot machiavélique afin de bouter la révolution « bolivarienne » et placer ses intérêts libéraux. Ce discours, ça fait dix-sept ans que les Vénézuéliens l’entendent, et ça ne prend plus. Selon un dernier sondage, seulement trois Vénézuéliens sur dix apprécient la gestion du pays par l’ancien chauffeur de bus. Toujours plus que Hollande chez nous, certes.

La fin du chavisme 

Le socialisme est décidément voué à l’échec. Que ce soit à la sauce dite bolivarienne ou plus rustique façon soviétique, ce système économique ne fonctionne pas. Ce serait néanmoins oublier que lorsque Chavez accède au pouvoir en 1999, le Venezuela n’a rien du paysage de carte postale de vacances au soleil que certains prétendent maintenant. A la fin des années 1980, sous la présidence du libéral Carlos Andrés Pérez, une crise très similaire à celle que traverse aujourd’hui le pays entraîne un soulèvement populaire. La répression causera plus de mille morts en une semaine, estime-t-on. Si les chiffres sur la popularité de Chavez à sa mort diffèrent (entre 40 % et 70 % selon les sondages), le fait est qu’il fut élu pour trois mandats présidentiels à la suite, avec des taux de participation allant jusqu’à 80 %. De quoi se poser des questions sur nos tristes élections qui n’intéressent plus grand monde. Quoi qu’on en pense, le défunt Chavez a réussi à placer le peuple au cœur de la politique, et à faire déplacer aux urnes des millions de gens qui jusque-là étaient plus préoccupés par leur feuilleton télé. Et cette fibre politique qu’ont acquise les citoyens est en train de se retourner contre le chavisme lui-même. En espagnol, « maduro », signifie « mature ». Si l’ancien chauffeur de bus voulait faire honneur à son patronyme, il devrait cesser de s’accrocher à son trône comme un gamin capricieux et laisser place à l’opposition majoritaire. Le régime chaviste ayant fait son temps, il n’a plus qu’à écouter les Vénézuéliens.



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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