J’admire Jérôme Leroy pour mille raisons, à commencer par son œuvre. J’aime son prénom qui me rappelle la figure cardinalesque de Jérôme de Stridon travaillant sa Vulgate. Et son nom qui convoque les personnages des romans de Sébastien Lapaque et le temps des rois très chrétiens. J’aime aussi lorsqu’il se fait le paraclet des pauvres, préférant embrasser la lèpre plutôt que de la fuir : Jérôme l’Hospitalier. Alors, naturellement, je n’ai pas aimé qu’il s’en prenne à Reynald Secher, plus à lui d’ailleurs, qu’à sa thèse sur le génocide vendéen, thèse à laquelle il est tout à fait libre de ne pas adhérer.
Les différents articles sur la question du génocide vendéen ont effet soulevé une multitude de commentaires, montrant s’il en était encore besoin, que cette question présente un intérêt réel et que plus de deux siècles après les évènements, la Concorde n’est pas encore la place de tous les Français. Jérôme Leroy avait son avis, je le respecte mais je doute de ses arguments.
Sur la question elle-même, celle de savoir s’il y a bien eu ou non un génocide, on notera une divergence sur la qualification. Si l’ensemble des historiens et des commentateurs avertis de Causeur s’accordent sur les massacres qui ont eu lien en Vendée, certains n’admettent en effet pas la qualification posée par Reynald Secher qui, lui, considère qu’il y a eu conception et réalisation de l’extermination partielle ou totale d’un groupe humain de type religieux ou politique. Certaines questions sont des gageures, celle-ci l’est peut-être. Est-ce la poule qui fait l’œuf ou bien le contraire ? Le chat de Schrödinger est-il vivant ou mort ou les deux à la fois ? La Vendée fut-elle un massacre ou un génocide ? Reynald Secher a le mérite de poser la question et de proposer une réponse.
Mais poser une question et élaborer une réponse est parfois mal récompensé ; le traitement de certains sujets fait planer des suspicions, c’est le cas avec la révolution française, comme c’est le cas avec l’immigration. Jérôme le sait bien, lui qui est allé au travers de son roman dans les entrailles du Front National et qui s’est vu gratifié d’une présomption d’extrême droite par son jeune concurrent au Prix de Flore, le brillant Marien Defalvard[1. « Je suis un facho, mon concurrent Jérôme Leroy (auteur du Bloc, excellent polar sur l’extrême droite) est évidemment un facho. Edouard Limonov, n’en parlons même pas. Je suis ravi que le prix de Flore s’engage sur la même pente que le monde entier, au fond, et que Frédéric Beigbeder fasse son coming-out de facho. N’oublions pas que la littérature est fasciste par essence, qu’il n’y a pas plus facho qu’un roman.»]. De l’humour, certes, mais beaucoup ne l’ont pas entendu comme cela.
Aussi, lorsque je lis sous la plume – dans les commentaires- de Jérôme Leroy que Reynald Secher est d’extrême droite et intégriste et traditionnaliste, je me demande s’il s’essaye aussi à l’humour et je me dis qu’il est bien meilleur écrivain qu’amuseur public. Car fut-il catholique, fut-il d’extrême droite, fut-il traditionnaliste, je doute que Reynald Secher ait pris plaisir à recenser les fautes d’une France qu’il a, lui aussi, chevillée au corps. Reynald Secher n’a pas imaginé, Reynald Secher a compté. Et c’est vrai que cela fait mal.
Les recherches de Reynald Secher n’ont pas pour objet, contrairement à ce que qu’affirme le camarade Leroy, de condamner l’idée révolutionnaire, de rendre en France impossible l’idée de penser un changement politique et social de type progressiste pour finalement criminaliser la liberté, l’égalité et la fraternité. L’objet est de dire ce qu’il s’est passé et de le qualifier. On est d’accord ou pas d’accord, on pense qu’il faut oublier ou alors expier, mais il n’y a aucune idéologie nauséabonde sous-jacente.
Je m’amuse d’ailleurs de la soudaine dévotion de Jérôme Leroy à un système qu’il considère comme le résultat d’un désir de changement social alors que l’initiative fut bourgeoise et que sur les idées de liberté sont très vite venues s’installer les idées d’un libéralisme qu’il abhorre, bien souvent à raison.
Sur la théorie de Reynald Secher, on aurait pu dire bien des choses en somme. Que la repentance est harassante, que la victimisation de certains commence à nous peser, que nous n’avons pas à porter cet héritage d’un temps qui nous échappe, etc. Mais que Jérôme Leroy est-il allé comparer l’incomparable en nous disant que ceux qui pleuraient le sort des vendéens moquaient dans le même temps les arabes jetés dans la seine, s’ils ne les balançaient pas eux-mêmes ? On peut pleurer les deux, non ? La charité ne consiste pas à déshabiller Paul pour aller habiller Pierre. La compassion, du moins la considération se partagent. Elles ne sont ni à usage unique, ni sujettes à péremption.
Bernanos disait de l’histoire qu’il prenait tout. Jérôme Leroy nous l’a rappelé. Mais il n’est pas sûr que la prendre dans son ensemble équivalait pour lui à la prendre en bloc, à l’instar de Clémenceau. Sûrement aurait-il lui aussi voulu boire au verre de sang de Marie-Maurille de Sombreuil, l’héroïque comtesse qui inspira Victor Hugo mais aussi Edgard Quinet.
*Photo : Stuart Chalmers.
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