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Vélo des champs, bicyclette des villes

Le confinement berrichon de Thomas Morales


Vélo des champs, bicyclette des villes
Sur mon vélo, tout devient possible. Nicolas Sarkozy en 2013 © ALAIN ROBERT/APERCU/SIPA Numéro de reportage: 00662843_000006

Dernières heures en danseuse d’un confinement berrichon


Le 11 mai se profile, les gants sur les cocottes ; l’exécutif sourcilleux prêt à reconfiner le pays au moindre faux pas. Les commissaires ne rigolent pas avec la sécurité sanitaire. La voiture-balai a charrié trop d’abandons ces deux derniers mois. 

La prudence est de mise, le coup de pédale sera fébrile dans les premières semaines de mai, les jambes cotonneuses, le moral chancelant, l’arrivée hypothétique, à l’automne peut-être, sur l’été planent encore tant de doutes. La descente s’annonce donc longue et périlleuse, ne nous laissons pas emporter par le vent de la liberté qui souffle rarement dans les fesses, nous avertit la direction de course. C’est les traits tirés que les Français prendront progressivement le départ, la peur de la fringale est dans toutes les têtes, il faudra être endurant, gérer les étapes du déconfinement et conserver assez de jus pour atteindre la ligne de la rentrée, cet horizon impossible. 

Vélo / Bicyclette: ne confondez plus!

Dans ce prologue, la ville bruisse, à nouveau, les commerçants astiquent leurs rayons, les coiffeurs peaufinent la signalétique dans les salons, chacun règle son dérailleur pour éviter la panne mécanique, le parcours ne sera pas une promenade de santé. Il s’agit de trouver la bonne vitesse de roulement, le peloton doit rester groupé, les échappées solitaires sont interdites par le règlement intérieur. Dans les bureaux et les écoles, on réfléchit à l’instauration d’une voie unique de circulation, le double sens banni des « open space », les « arrêts gel » désormais obligatoires comme le port du masque ou du casque, la hantise du procès freinant l’élan des plus vaillants. Et puis, la météo vient jouer les trouble-fête, alors qu’il a fait un temps admirable depuis que l’on a remisé nos vélos au garage, le ciel se voile. La pluie s’invite pour calmer nos ardeurs vélocipédiques. Pile au moment où chaque citoyen a obtenu son bon de sortie : 100 bornes de routes départementales, de côtes vicieuses, de faux-plats qui font suer et d’entrées de villes qui ressemblent à la caravane publicitaire du Tour. 

A lire aussi, du même auteur: Tour de France: La rentrée du peloton aura bien lieu!

Ce matin, dans mon Berry pour encore quelques heures, j’ai jeté un œil attendri sur mon mi-course des années 80, modèle hybride d’une marque disparue, licorne entre le tromblon de grand-papa et la bécane de compétition quand notre nation savait produire et fabriquer à la maison. On peut vénérer la bagnole et le vélo, ces deux objets indomptables ont, dans mon esprit, la même capacité à compresser le temps et à faire vriller l’imaginaire. Je me permets ici de préciser la différence entre le vélo et la bicyclette, trop souvent confondus, deux univers qui s’ignorent fondamentalement, deux mondes qui ne partagent pas les mêmes valeurs sportives, ni la même éthique. Il suffit de réécouter Michel Audiard ou de lire René Fallet, notamment Le Vélo paru chez Denoël en 1992 et réédité en 2013 pour s’en convaincre. « Rien de commun. Rien à voir. Rien à faire. La bicyclette, les amateurs de vélo sont formels sur ce point, injustes s’il le faut, odieux jusqu’au racisme, la bicyclette n’est pas un vélo ». La bicyclette est aujourd’hui principalement un moyen de déplacement urbain, on ne peut nier son côté utilitariste et sa visée idéologique censée lutter contre la voiture. Le vélo s’élève dans d’autres cieux, il tutoie l’Art, son allure ne trompe pas, il est léger, rapide, il pénètre dans l’air, son inconfort est signe de performances, on n’y adjoint ni un moteur électrique, ni des sacoches, on ne l’enlaidit pas, il est intouchable, souvent inaccessible, nécessitant une condition physique optimale. 

A lire aussi, Isabelle Marchandier: Déconfinement: la fausse bonne idée du vélo

Rouler sur des boyaux fut longtemps le rêve des enfants des années 1970, un rite de passage vers l’âge adulte. L’usage du vélo est réservé aux seigneurs des provinces, loin des agglomérations. 

Il ne se fond pas dans un décor bétonné, il accepte seulement les pavés lors du Paris-Roubaix (reporté en octobre 2020). Son propriétaire amateur n’hésite pas à se grimer en coureur professionnel, cuissard et dossard, il possède sa propre esthétique, sa propre culture, ses codes à lui. La bicyclette transporte, le vélo emporte. Avant le Covid-19, j’avais naïvement cru qu’au printemps venu, je pourrais exposer mes mollets fermes aux habitants de mon quartier et enfourcher mon fier destrier. Mais la ville rappelle à eux, les confinés des campagnes qui rêvaient de sorties à l’air libre. Dans un mois ou dans un an, comme disait Sagan (Françoise ou Peter), j’ai bon espoir de remonter sur ma machine.

Le vélo

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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