Cher Jérôme, et bien entendu au-delà de toi, à travers toi comme aurait dit ce cher Péguy qui, je le crois, nous rassemble, chers camarades de gauche, même si ce terme n’a plus aucun sens, et vous, chers camarades de droite dont le nom n’a pas plus de sens, je vous réponds à mon tour.
Je ne suis pas les Veilleurs, aussi ne puis-je prédire ce qui va venir. Je peux simplement l’aider à advenir et, médiocre veilleur parmi les veilleurs, invisible parmi les invisibles, l’espérer. Aider ? Oui, en apprenant à ces jeunes gens, s’ils ne le savent pas, et en te rappelant à toi, qui fais semblant de l’oublier, quelle a été, dès l’origine de l’époque moderne, le sens de la lutte politique chrétienne. Quand je dis chrétienne, je ne dis pas qu’il faille en professer la foi, mais je parle d’une lutte façonnée par l’ethos chrétien qui, comme l’indique le terme de catholique, a toujours vocation à devenir universel. Je leur apprendrai et je te rappellerai où et de quoi est né le socialisme : de la réaction catholique à la Révolution française dont la doxa contemporaine a tout à fait intérêt, pour la gauche comme pour la droite, à faire oublier le logiciel libéral. Je te rappellerai et leur apprendrai que sans de Maistre, Lamennais, Ozanam, Leroux et Buchez, il n’y a pas de pensée sociale. Il n’y a pas de Proudhon, il n’y a pas de révolte des Canuts, il n’y a pas de 1848, il n’y a pas de protection des ouvriers, il n’y a pas de dimanche chômé, il n’y a pas de durée légale de la journée de travail, il n’y a pas de syndicats, il n’y a pas de liberté de manifester. Il n’y a pas non plus d’école gratuite, ni de maternelles, ni de crèches. Je vous passe la seconde vague chrétienne sociale, monarchiste en France et démocrate-chrétienne en Allemagne, qui accouche des encycliques sociales de Léon XIII, inventeur du terme d’Etat-providence.
Je vous passe les détails historiques. Je rappellerai simplement quelques exemples plus contemporains : que c’est un curé qui a inventé le commerce équitable, que les paysans du Larzac étaient tous catholiques et que sans Lanza del Vasto il ne serait rien advenu, je rappellerai encore que la lutte des ouvriers de Lip, la seule qui ait réussi, a été menée par des curés. Je rappellerai encore une fois que sans Ruskin, Chesterton et Tolstoï, il n’y a pas de Gandhi, que Martin Luther King était pasteur, que l’abbé Pierre, Mère Teresa, le professeur Lejeune et Raoul Follereau étaient aussi catholiques. J’apprendrai à ceux qui n’y foutent jamais les pieds que dans la rue, en France, là où végètent des clodos, des psychotiques, des ivrognes, 90% encore des associations qui œuvrent sont chrétiennes. Je demanderai si ce n’est pas l’Eglise catholique qui s’occupe à elle seule de 25% des malades du Sida dans le monde. Je demanderai de quoi s’inspirent aujourd’hui les bolivariens d’Amérique du Sud, et ce qui a inspiré hier Solidarnosc. Je demanderai qui était Monseigneur Romero, abattu à son autel, pendant la messe, que le Pape François s’apprête à béatifier.
Je dirai tout ça parce que je sais que ce qui rassemble les Veilleurs aujourd’hui, quoi qu’en disent certains, c’est cet ethos chrétien. Et parce que je voudrais qu’encore une fois il prouve combien les catégories de combats de droite et de combats de gauche, il les dépasse. Et parce que je sais que nombreux sont ceux qui ont intérêt à limiter ces luttes à leur caste, à les récupérer comme on dit. Alors, oui, il y a des chrétiens aussi à Notre-Dame des Landes, il y a des chrétiens indignés, il y a des chrétiens contre les OGM et la marchandisation générale du vivant. Il y a des chrétiens contre les puces RFID et contre le nucléaire, il y a des chrétiens contre l’idéologie de la croissance et de la technique, et je n’aurai pas l’outrecuidance de vous rappeler qui étaient Ellul et Illich. Il y a des chrétiens qui combattent pour une vraie écologie. Il y a des syndicalistes chrétiens, il y a des chrétiens qui vont habiter volontairement dans les cités des banlieues et des quartiers nord. Ils sont même en première ligne, comme d’habitude.
Mais je sais que pour un marxiste-léniniste comme pour des libéraux, tout cela est difficile à entendre. La seule question que je peux vous poser en réponse à votre question, en me faisant tout petit derrière ces innombrables chrétiens qui hier et aujourd’hui menèrent et mènent les vraies luttes pendant que je ne fais qu’écrire et vaticiner, c’est : oui ou non, comptez-vous rester confits dans vos idéologies d’il y a deux siècles ? Est-ce assez confortable pour tordre le cou à la réalité ?
Et sinon, qu’attendez-vous de vos deux faux côtés qui sont deux vraies fictions créées par la domination et le spectacle, pour cesser de craindre la vérité qui, elle, ne se divise pas, et fait ce que nous souhaitons tous au fond : des hommes libres ?
*Photo : ¡Que comunismo!.
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