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Variété avariée


Variété avariée

Dans Les Plaisirs et les Jours, Marcel Proust, jeune dandy assez lancé, avait écrit un « Eloge de la mauvaise musique » dans lequel il constatait : « Le peuple, la bourgeoisie, la noblesse, comme ils ont les mêmes facteurs, porteurs du deuil qui les frappe ou du bonheur qui les comble, ont les mêmes invisibles messagers d’amour, les mêmes confesseurs bien aimés. Ce sont les mauvais musiciens. » On ne saurait mieux définir ce qu’il est convenu d’appeler la variété, et son importance à la fois sociologique et historique. Par exemple, combien de sexualités masculines se sont révélées, pour ceux qui connurent leur puberté sous Giscard, grâce aux chansons de Michel Sardou, avec l’inoubliable Maladie d’amour bien sûr mais aussi le trop oublié Je vais t’aimer dont un des vers, « Je vais t’aimer à en faire pâlir le marquis de Sade » nous ouvrit d’immenses perspectives à la fois littéraires et érotiques circa 1976, l’année de la canicule.

Il faut donc prendre la variété au sérieux. C’est ce que fait depuis plusieurs livres d’une série intitulée « Nos amis les chanteurs », Thierry Séchan, parolier, écrivain, frère de Renaud et connaissant la variété de l’intérieur, non seulement la française mais aussi l’Européenne et notamment la Serbe. Il publie ces jours-ci le quatrième volume de cette enquête sur le paysage sonore des années Sarkozy, intitulé Dernière Salve. Comme dans La Relève de Clint Eastwood, Séchan s’est adjoint les services d’un jeune homme talentueux, Arnaud Le Guern, breton lyrique qui avait publié à 25 ans un bien beau livre sur Edern-Hallier et avait aussi fricoté avec la revue Cancer. S’agit-il d’un passage de relais ou la matière est-elle devenue tellement riche, depuis qu’une chanteuse de gauche est devenue première dame de droite ? Laissons au lecteur le soin de juger. Mais il est vrai qu’il y a de quoi faire, ces temps-ci, entre les « engagés » et les « starlettes d’académie ».

Nous avons particulièrement apprécié leurs pages sur ceux qu’ils appellent joliment « les mous du slam, les pépères la morale » que sont Grand Corps Malade et Abd El Malik, la nouvelle idole des trentenaires ségolénistes, verts et moraux. Ils ont même la cruauté de citer une interview à VSD, ce qui pourrait leur valoir les foudres de la Halde, tant leur intention de nuire est manifeste. Abd El Malik aurait en effet déclaré : « Je pense qu’il faut transformer le négatif qui est en nous en positif. Etre à la hauteur de nous-même pourrait être notre définition », mais aussi cet inoubliable : « La paix est un combat non-violent. » Séchan et Leguern, très éprouvés, échappent in extremis à la dépression nerveuse en rappelant, ce qui prouve leur bon goût, que le seul, le vrai, le grand slameur français est bien entendu le Philippe Muray de l’extraordinaire Minimum respect et en particulier « Ce que j’aime », qui est l’hymne national de Causeur, la bannière bien-aimée autour de laquelle se fédèrent tant de tempéraments apparemment contradictoires.

Variété et sarkozysme, voilà qui formera sans doute le sujet de plusieurs thèses à venir : outre le libéralisme décomplexé, le bling-bling et la haine de la princesse de Clèves, ce qui marqua les premiers temps de l’omniprésidence, ce fut quand même l’inoubliable podium de la victoire de 2007 avec ce plateau de rêve à la Concorde dont on avait eu l’impression qu’une déchirure du continuum spatio-temporel nous l’avait téléporté tout droit depuis les années Pompidou : Mireille Mathieu, Enrico Macias, Jane « Faisons l’amour avant de nous dire adieu » Manson, Johnny, Sardou. Même les « jeunes », Faudel, Doc Gyneco, avaient prématurément vieilli car l’usure accélérée de la marchandise, comme le suggèrent les auteurs, est décidément bien ce qui caractérise la camelote musicale contemporaine.

Bien sûr, le mariage avec Carla a tout changé. Nous vous recommandons son portrait sous la plume décidément cruelle de nos duettistes, portrait qu’ils placent sous l’exergue d’Ylipe : « Une idiote est préférable à celle qui ne l’est qu’à moitié. »

Dernière salve est un livre d’autant plus intéressant qu’il est une entreprise de démolition menée par deux hommes qui, comme disait Saint Augustin, « aimeraient aimer » mais ne voient plus trop qui aimer en la matière à part Bashung et Christophe, ce qui achève de prouver leur bon goût, à eux qui citent Céline et Toulet, Vailland et Nimier, comme pour se consoler avec ce qui manque tellement à nos amis les chanteurs : le style.

Nos amis les chanteurs: Tome 4, Dernière salve

Price: 3,75 €

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Avril 2009 · N°10

Article extrait du Magazine Causeur



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