Vincent Jauvert, « grand reporter » au Nouvel Observateur, s’est fait une spécialité sur son blog de résumer pour nous et à sa façon les articles « d’Affaires étrangères » qu’il lit dans la grande presse anglo-saxonne. Bien sûr, je ne connais pas en détail l’emploi du temps de M. Jauvert, mais à la lecture de son blog, on en a une vague idée. Avant midi, il lit le Financial Times, et après midi le New York Times. Comme ça il a toujours un temps d’avance sur ses collègues qui se contentent de lire Le Monde, matin et soir. C’est l’avantage de parler l’anglais. Parfois même Vincent Jauvert se hasarde sur des sentiers moins pratiqués, et va jusqu’à cliquer sur des liens exotiques qu’il trouve sur son écran. C’est ainsi qu’au mépris du danger, il se rend parfois jusque sur le site du Moscow Times. FSB, même pas peur ! Quelle vie trépidante ! Pourfendre les tyrans à coup de clavier !
On comprend que le métier de reporter soit celui parmi les plus prisés des étudiants et lycéens. À l’heure de la réduction des coûts dans les rédactions, il faudrait penser à créer un prix spécial pour les meilleurs lecteurs de la presse étrangère et autres « grands reporters » coincés à Paris. Dénicher des scoops sur le web au mépris des risques de foulure de l’index gauche et autres troubles de la vision que représente l’usage immodéré de l’ordinateur, il faut le faire !
On se demande pourquoi, à la lumière de ce professionnalisme sans faille, la corporation journalistique tient tant à marquer « sa différence » face aux meutes hystériques de « journalistes citoyens » dopées par la généralisation de l’usage domestique du haut débit et des moteurs de recherche. À vue de nez, les méthodes ne sont pas foncièrement différentes, et les résultats pas tellement non plus : il s’agit de livrer un puissant à la vindicte du bon peuple d’Internet, et c’est encore mieux si le futur ex-puissant se trouve sous les feux de l’actualité. Voilà comment les grands reporters d’antan deviennent les grands rapporteurs d’aujourd’hui. Et comment le journaliste Vincent Jauvert devient l’inspecteur Jauvert sur internet, qui traque sans pitié les délinquants de la pensée.
C’est ainsi qu’en deux clics, trois copier-coller approximatifs, l’inspecteur Jauvert, grand rapporteur auprès des comités virtuels et citoyens du web, nous a dégotté un islamophobe. Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de Herman Van Rompuy, le président de l’Europe, auteur, selon notre fin limier, d’une « déclaration pour le moins dérangeante » en…2004. « La Turquie ne fait pas partie de l’Europe et ne fera jamais partie de l’Europe… Un élargissement de l’UE pour inclure la Turquie ne peut pas être considéré comme une simple extension comme dans le passé. Les valeurs universelles qui sont en vigueur en Europe, et qui sont aussi des valeurs fondamentales du christianisme, perdront de leur force avec l’entrée d’un grand pays islamique comme la Turquie. »
Le crime islamophobe dans toute son horreur.
Oui, cette phrase « atterrante » serait le signe d’une « islamophobie » dont le hideux soupçon porterait une tache indélébile sur Van Rompuy, sommé par notre grand rapporteur de s’expliquer, à moins de faire face à la colère des « millions d’Européens de confession musulmane » qui n’auraient cependant sans doute jamais entendu parler de cette déclaration vieille de cinq ans si des petites mains zélées dans le genre de l’inspecteur Jauvert n’avaient eu l’idée généreuse de la leur faire connaître. D’ailleurs, grâce à lui, la nouvelle inonde déjà certains sites « citoyens » ou musulmans qui ne manquent pas d’hurler, au diapason du grand rapporteur, au crime « d’islamophobie »[1. Islamophobie : nouvelle catégorie de crime et produit star de notre phobophobie galopante qui a été popularisée par les mollahs iraniens pour disqualifier tout discours critique sur l’islam, utilisé sans aucun recul par de plus en plus de monde aujourd’hui en Occident.].
De façon tout à fait révélatrice quant aux nobles intentions de notre grand rapporteur, on pourra mesurer l’écart entre la pondération de l’article qui est la source de Jauvert, je veux dire celui du Financial Times, qui a aucun moment ne parle d’une « islamophobie » quelconque, et l’hystérie façon « bête immonde » et « heures les plus sombres de notre histoire » à laquelle il s’abandonne ici.
Voilà, Eric Raoult n’est plus seul, il a l’inspecteur Jauvert avec lui. Selon des informations par moi trouvées en direct sur mon web personnel, je me suis laissé suggérer par mon imagination un moment débridée qu’ils allaient être à l’origine d’une initiative conjointe qui visera à imposer à tous les anciens obscurs qui accèdent soudainement au statut envié de people, tels Marie N’Diaye et Herman Van Rompuy, un droit de réserve sur tous les sujets sensibles, avant, après et pendant leur période people, à moins d’irriter des millions de gens qui, avouons-le quand même, ne demandent bien souvent que ça. Pas question donc de dire autre chose que du bien de l’homoparentalité, l’islam, la capote, le débat sur l’identité nationale, la diversification du divers, le journalisme d’investigation sur internet et ailleurs, etc. La liste est ouverte, vous la complèterez vous-même. Mais gare à tous les apprentis people ici présents. L’inspecteur Jauvert, et son acolyte Raoult, veillent.
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