« Dans un système à trois puissances, il faut être l’une des deux ». Manuel Valls doit méditer ces temps-ci la célèbre sentence attribuée au chancelier Bismarck. Pendant qu’il est sur tous les fronts — révision constitutionnelle, loi travail — et qu’il se disperse de surcroît sur des questions dont il pourrait se passer — sélection de Benzema en équipe de France, conseils plus ou moins amicaux au Primat des Gaules, Philippe Barbarin — un axe Hollande-Macron semble bien se dresser face à lui.
Ce mercredi sur Europe 1, Emmanuel Macron expliquait combien la candidature la plus légitime pour 2017 demeurait celle du « président en place » ; il affirmait sa loyauté envers celui sans lequel « il ne serait pas là ». Dans le même temps — est-ce une coïncidence ? — l’extrait d’un livre écrit par Charlotte Chaffanjon et Bastien Bonnefous filtrait très opportunément : François Hollande y explique que « Manuel Valls pourrait être parfaitement candidat [si lui-même ne l’était] pas ; il serait d’ailleurs même le plus légitime », avant de nuancer aussitôt : « Mais il ne serait pas forcément le mieux adapté à la situation ».
A la place du Premier ministre, nous nous laisserions sans doute aller à quelques accès de paranoïa sur la coïncidence temporelle de l’intervention du ministre de l’Economie et la révélation de cette déclaration présidentielle. Les fameux « bruits de chiottes » dénoncés par Najat Vallaud-Belkacem, concernant la tentation de démission de Manuel Valls auraient sans doute quelques raisons politiques. François Hollande joue avec son Premier ministre, tentant plus ou moins maladroitement d’imiter François Mitterrand avec Michel Rocard. Et l’on comprend que Valls soit tenté d’envoyer tout valser, décidant de jouer sa propre carte quitte à considérer que 2017 est d’ores et déjà perdu, concentrant toute son énergie sur 2022.
On nous a expliqué il y a quelques semaines que Manuel Valls avait obtenu du président qu’Emmanuel Macron soit puni de sa conception quasi-taubiresque de la liberté de parole ministérielle : c’est Myriam El Khomri qui avait été choisie pour défendre la fameuse nouvelle loi de libéralisation qu’on avait alors baptisée « loi travail ». Macron mis sur la touche, c’est donc le duo Valls-El Khomri qui assume publiquement le projet et qui prend tous les coups. Pendant ce temps, Emmanuel Macron consulte intellectuels, artistes et le fait savoir. Il fait la une de magazines mainstream qui lui ajoutent, à grand renfort de Photoshop, le présidentiel grand collier de la Légion d’honneur.
Et si François Hollande avait conclu un pacte — explicite ou implicite — avec son ministre de l’Economie sur le dos de l’hôte de Matignon ? Faisant souffler alternativement chaud et froid sur la question de la primaire à gauche, à laquelle il pourrait ou non participer, le président tente de gagner du temps, afin de pouvoir s’imposer à tous… ou imposer celui qu’il aura souhaité. Cet éventuel suppléant de dernière minute qui pourrait alors remporter une primaire organisée à la hâte, cela pourrait être Emmanuel Macron.
Alors que le président rêve toujours d’une candidature Sarkozy à droite, face auquel il pense avoir des chances réelles (du fait de la candidature inévitable de François Bayrou), il doute certainement de sa capacité à vaincre Alain Juppé. Face au maire de Bordeaux, un candidat jeune dynamique et qui aurait peu ou prou les mêmes idées aurait de bien meilleures chances de mordre sur l’électorat modéré. Le second strapontin du second tour — une telle configuration offrant évidemment le premier à Marine Le Pen — pourrait bien alors échapper au chantre de l’identité heureuse.
On ne peut exclure que Hollande et Macron aient pu s’entendre sur l’opportunité d’attendre de connaître le vainqueur de la primaire à droite pour prendre cette décision. Juppé désigné, Macron pourrait affronter un représentant de l’aile frondeuse du PS comme Arnaud Montebourg. Face à ce dernier, il pourrait même obtenir le soutien de Martine Aubry et gagner dans un fauteuil.
On comprend alors la nervosité de Manuel Valls. On comprend ses maladresses et sa volonté d’exister. Coincé entre le marteau Macron et l’enclume Hollande, il a en effet toutes les raisons de vouloir s’en extirper. Et n’en déplaise à Najat Vallaud-Belkacem, ceci n’est pas le fruit de rumeurs, mais bien d’une analyse froide de la situation de Manuel Valls.
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