« Dis Manu, tu sais, dans une vraie boîte, quand c’est ton chef qui doit s’expliquer pour tes notes de frais, c’est que tu as vraiment, mais alors vraiment merdé… »
Voilà en quels termes s’amusait un de mes amis sur un réseau social lundi soir.
Manuel Valls a donc interrompu le passionnant congrès socialiste de Poitiers samedi pour se rendre à la finale de la Ligue des champions de football avec un avion de fonction. Il devait assister à une réunion dont le site internet de l’Equipe avait expliqué trois jours plus tôt… qu’elle avait été annulée par Michel Platini. Le même président de l’UEFA devait être reçu ce mercredi matin à l’Elysée pour un petit-déjeuner de travail à 8h30, auquel le Premier ministre aurait pu être convié, puisque l’agenda présidentiel indique qu’il devait ensuite enchaîner par son rendez-vous traditionnel avec le Président d’avant conseil des ministres. Ce mardi, on apprenait que le fameux avion n’emmenait pas seulement Manuel Valls mais aussi ses deux fils. Convenons que cela ne coûte pas plus cher à l’Etat mais que cela en dit long sur l’esprit de ce voyage, davantage tourné vers le soutien à l’équipe barcelonaise que vers l’organisation du championnat d’Europe 2016 en France.
Que le Premier ministre ait une tendresse pour le FC Barcelone, et qu’il préfère assister à un superbe match qu’à un dîner assommant en compagnie de Jean-Christophe Cambadélis et Jean-Marie Le Guen, qui suis-je pour le lui reprocher ?
Le problème, c’est que, comme l’indique plus haut mon malicieux copain, il a, par ses bobards, mis le Président de la République dans une situation intenable en l’obligeant à confirmer lesdits bobards. Quand on vient de mettre à l’index une haut fonctionnaire coupable d’avoir eu quelques largesses en sa faveur en déplacements de taxis, quand des membres éminents du PS viennent de faire grief à Nicolas Sarkozy d’avoir pris l’avion pour aller au Havre, aux frais de son parti, pour une réunion de son parti, tout cela ne fait pas très sérieux.
Comme le soulignent de nombreux observateurs, Manuel Valls voit sa réputation de super-communicant mise à mal. Les cordonniers sont-ils les plus mal chaussés, même en matière de com’ ? On pourrait finir par le croire, tant cette séquence apparaît comme un fiasco total, à tel point qu’on se demande à l’heure où on rédige ces lignes, si le Premier ministre n’a pas pris définitivement le fameux toboggan, qui le fera descendre dans les enfers sondagiers. Comment ne pouvait-il pas anticiper une telle polémique ? Comment pouvait-il penser que sa fable sur la réunion de l’UEFA en marge du match ne serait pas vérifiée et infirmée dans les jours suivants ? Valls a-t-il conscience qu’il vit en 2015, à l’heure des réseaux sociaux, de la transparence à outrance et du fact-checking ? Alors qu’il pouvait très bien se faire organiser un visionnage du match avec des militants à Poitiers, lui dont on répète qu’il a une grosse marge pour séduire ces derniers, il a préféré une tribune présidentielle à Berlin avec tous les risques que cela comportait pour son image. Surtout, il a pris les gens pour des imbéciles alors qu’il aurait dû assumer dès le début en expliquant, par exemple, qu’il eût été discourtois de ne pas accepter l’invitation de l’UEFA pour le match, et le match seulement. C’est moins ce déplacement et les 14 000 euros dépensés qui lui seront reprochés que l’impression d’un « foutage de gueule » aux conséquences incalculables.
Comme si cela ne suffisait pas, pendant que Neymar et Messi donnaient la victoire à l’équipe favorite de Manuel Valls, les rotatives du JDD imprimaient un texte au vitriol de Montebourg et Pigasse : « Hébétés, nous marchons vers le désastre ». Évidemment, l’ancien ministre de l’Economie n’a pas fait que des heureux du côté du camp du Premier ministre. Sans l’affaire de l’avion, on pourrait même dire que Valls avait réussi à faire passer Montebourg pour un méchant aigri. Ce dernier doit maintenant boire du petit lait. Valls est aujourd’hui affaibli, et le Président risque de lui en vouloir de l’avoir mis dans une situation aussi difficile. Macron peut désormais se tenir prêt. Et Montebourg affûter ses couteaux.
*Photo : JEFFROY GUY/SIPA. 00707149_000001.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !