« Endormissement : passage de l’état de veille à l’état de sommeil », dit le Larousse. Pour avoir cherché à ramener la classe politique et, au-delà, les Français, à un « état de veille » vis-à-vis du FN, Manuel Valls a été désigné à la vindicte générale. De Marion Maréchal-Le Pen à Michel Onfray, le diagnostic a été unanime : l’hôte de Matignon serait un « crétin ».
Naturellement, le Premier ministre est parti en guerre contre le FN avant une échéance électorale qui s’annonçait redoutable pour le PS : il s’agissait d’abord pour lui de remobiliser un électorat socialiste déçu, pour ne pas dire navré, par la première partie du quinquennat de François Hollande. Depuis sa nomination à Matignon, Manuel Valls se signale par ailleurs de manière récurrente par des outrances verbales qui desservent les causes qu’il prétend servir : comme l’usage récent, et décalé, du mot « apartheid ». Mais en dénonçant l’« endormissement » de l’Hexagone devant la montée du FN, le Premier ministre a au contraire trouvé le mot juste : Marine Le Pen est désormais aux portes du pouvoir, son élection à l’Élysée en 2017 reste improbable, mais elle n’est plus inconcevable, et chacun continue de vaquer à ses petites occupations.[access capability= »lire_inedits »]
Mieux, ou plutôt pire : on assiste à une « marinisation » des esprits, la dénonciation permanente par la présidence du FN de « l’ultralibéralisme » n’étant pas sans effet sur certains grands esprits à la gauche de la gauche. En 2012, Jean-Luc Mélenchon s’était autoproclamé ennemi numéro un de Marine Le Pen : cela ne l’a pas empêché depuis de refuser de choisir dans certaines élections partielles entre l’UMP et le FN quand ces deux formations restaient seules en lice au second tour. Que fera-t-il en 2017 si Marine Le Pen se retrouve au second tour face au candidat UMP ? Personne aujourd’hui n’a la réponse. Philosophe vétilleux sur son rang, Onfray a le droit de reconnaître Alain de Benoist comme un de ses pairs, et pas Bernard-Henri Lévy. Reste que, sur le terrain politique, Alain de Benoist apporte à Marine Le Pen un soutien certes « critique » mais revendiqué. Ce qui n’est pas un… « détail » !
Sonner le tocsin devant le « danger FN » ne sert bien sûr strictement à rien : nous avons déploré dans plusieurs ouvrages la propension de la gauche à camper sur une posture morale parfaitement inefficiente. Allons-y à notre tour d’une petite provocation. Depuis l’irruption du FN dans le paysage politique français, il y a maintenant trente ans, mis à part Bruno Mégret, une seule personne a réussi à entamer le magot de la famille Le Pen : Patrick Buisson, ancien directeur de Minute, et scénariste de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. C’est en se salissant les mains, en venant en particulier sur le terrain de l’immigration, l’interdit des interdits, que l’on peut faire reculer le FN.
Mais, justement, Valls ne s’est pas contenté de paroles. Si son usage inapproprié du mot « apartheid » paraissait induire une sollicitude exclusive en faveur des « quartiers », où sont regroupées les populations d’origine immigrée, le Premier ministre a décidé d’une série de mesures en faveur de la « France périphérique » chère au géographe Christophe Guilluy, où sont regroupées les catégories populaires plus anciennement françaises. Des catégories ignorées depuis longtemps par toutes les gauches, et chez lesquelles Marine Le Pen cartonne.
On peut se moquer du barnum gouvernemental dans l’Aisne, où le Premier ministre s’est transporté pour faire ses annonces. Ça vient bien tard. Mais c’est un pas dans la bonne direction. Dans ces conditions, on nous permettra de préférer ce « crétin » de Valls à l’idiot utile qu’est devenu Michel Onfray ; plutôt Valls aussi que les simplets de l’UMP, du type Sarkozy, qui continuent de se délecter dans la tambouille politicienne.[/access]
*Photo : ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA. 00705510_000017.
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