Dieudonné est en couverture de Causeur. Je ne fais pas partie de la « meute », et suis sensible aux arguments développés par Élisabeth Lévy dans « L’Esprit de l’escalier ». Je considère néanmoins que cette couverture était une erreur. Pour trois raisons : C’est maladroit, c’est trop tard, et ça relance la polémique. Élisabeth Lévy est dans sa logique, que l’on peut comprendre. Elle est contre l’interdiction d’un spectacle, dit-elle, et elle n’est pas la seule. Claude Lanzmann, Robert Badinter, Alain Bauer, Pierre-Olivier Lesur, entre autres, ont la même position. D’ailleurs, les uns et les autres ont, dans le même temps, rendu hommage à Manuel Valls qui a eu le courage de donner un coup d’arrêt à une nébuleuse qui se propageait dangereusement et subrepticement. Car les menaces de troubles à l’ordre public étaient réelles. Fallait-il laisser s’installer ces troubles ? Je ne le crois pas. Pourquoi, alors, surexposer en couverture, après la bataille, un polémiste dont tout le monde avait désormais compris qu’il était un provocateur ? Sans dire, comme certains, qu’il y avait là une provocation de la part d’Élisabeth Lévy, je pense que c’était pour le moins inutile. Je fais partie de ceux qui ont apprécié le face-à-face organisé par notre consœur lors des dernières élections européennes[1. Que mon ami Shlomo Malka me permette de préciser que je n’avais pas organisé un face-à-face : j’avais été invitée par le site fluctuat.net à débattre avec Dieudonné au moment où il présentait sa liste « antisioniste » aux élections européennes. Par ailleurs, je n’ai jamais dit que j’étais contre l’interdiction du spectacle, je reste partagée sur ce point.]. C’était direct, efficace, et bien mené. Cette fois-ci, pardon de le dire crûment, l’entretien était un peu raté.[access capability= »lire_inedits »]
À quoi bon demander pour la énième fois à son interlocuteur s’il est antisémite ou antisioniste ? On aurait aimé des questions plus factuelles : Pourquoi veut-il libérer Fofana ? Pourquoi juge-t-il qu’il n’y a aucune différence entre les juifs et les nazis ? Pourquoi ne paye-t-il pas ses dettes ? Pourquoi organise-t-il son insolvabilité ? Ces questions n’ont pas été posées. Ou en tout cas il n’y a pas répondu. Il fut un temps, qui n’est pas très éloigné, où Dieudonné avait son rond de serviette dans pas mal d’émissions. On a cessé de l’inviter quand on s’est rendu compte qu’il ne faisait plus profession d’humoriste mais de ricaneur perpétuel et de tribun populiste, qu’il se lançait désormais dans des campagnes électorales, faisait des voyages en Iran, invitait des négationnistes à ses spectacles et promettait la chambre à gaz à des journalistes du service public. C’était il n’y a pas si longtemps. La mode pourrait revenir très vite, après tout.
L’intention d’Élisabeth Lévy n’est pas en cause. Elle affirme vouloir faire la démonstration, à l’usage d’un public qui ne voit dans ces spectacles que la dimension « J’emmerde le système », que, lorsqu’il intervient au premier degré, sans mise en scène, il est pitoyable. Dont acte. C’est vrai qu’il se dégage de cette interview une insondable bêtise. Reste aussi que, désormais, c’est devenu tendance, on affiche des « unes » avec des titres alléchants du genre : « Dans la tête de Mohamed Merah », « Dans l’intimité de Heinrich Himmler », et maintenant : « Dans les tripes de Dieudonné »… On parle de la « banalité du mal ». Le mal n’est pas banal, en l’occurrence : il est affligeant d’imbécillité abyssale.
Et plus affligeant encore, le devoir de rire qu’on vous impose. À défaut de quoi, vous passez facilement pour un type bégueule, un affreux rabat-joie, un vilain sioniste qui ne comprend rien à l’humour, qui supporte qu’on se moque de tout le monde sauf de lui, qui n’accepte pas la dérision, etc. Ritournelle connue et reprise désormais à l’envie, jusque et y compris par notre consœur qui multiplie les circonvolutions pour échapper au reproche. Reproche absurde et procès stupide ! Si les juifs n’avaient pas d’humour, ça se saurait ![/access]
*Photo:Hannah
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