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Rendez-vous au pays d’Allen

Les dossiers d’été de Monsieur Nostalgie (2)


Rendez-vous au pays d’Allen
Souvigny (03). D.R.

Dans un court roman paru en 1927 sous la forme d’un carnet de voyage en pays Bourbonnais, Valery Larbaud explore l’âme de nos provinces françaises


Qu’est-ce donc que ce pays d’Allen ? Un duché ? Un canton de fiction ? Une terre promise ? Une stèle ? Un mausolée ? Une ligne de fuite ? Valery Larbaud (1881-1957) a commencé la rédaction de ce roman en 1926 à Lisbonne, lui l’écrivain cosmopolite, richement né dans le département de l’Allier et longtemps cornaqué par sa mère, prince égaré du domaine de Valbois, voyageur des songes, arpenteur des palais italiens, dentellier de Fermina Marquez, s’aventure dans une campagne inconnue de nombreux Français. Dans une zone imprécise, aujourd’hui située en région Bourgogne-Franche-Comté sans les toitures vernissées et les côteaux tapageurs des villes de vin, non loin de la Loire sauvage, sans le lit de « caillottes » et les chemins de calcaire que l’on rencontre dans le Sancerrois, ce Centre-Est nous semble bien austère et inhospitalier. Impalpable, presque accessoire, comme s’il fallait boucher les trous, combler les cartes d’une géographie nationale fugueuse qui ne reconnaît et chérit que ses nouvelles métropoles connectées et se plie à l’ascendant du littoral. En dehors de ces points cardinaux qui captent l’attention et les portefeuilles des ministères, la ruralité est un vague sujet de lamentations, qu’on feint de plaindre et qu’on préfère ignorer par confort intellectuel. Demandez aux badauds des villes de placer les départements de l’Allier, du Cher, de l’Indre ou de la Nièvre, ils vous regarderont effarés, quelque peu agacés qu’on les piège avec ces balivernes du vieux monde, emprisonnées dans la naphtaline. Ces incongruités sous cloche.

Rendez-vous près de la forêt de Tronçais

L’Homme moderne en phase finale de décomposition mentale se repère mieux à Dubaï et dans la Baie d’Along qu’à la sortie de Nevers. A-t-il entendu tinter à son oreille, le doux nom de la Charité-sur-Loire, de Saint-Pourçain-sur-Sioule ou de Jaligny-sur-Besbre ? Quelques cités effacées des Journaux Télévisés et des mandatures trop longues quadrillent ce territoire obscur, elles s’appellent Souvigny, Bourbon-L’Archambault, Hérisson, Vichy, Montluçon, Chantelle, Larbaud les liste dans son prologue. Elles sont l’humus de notre Histoire, à la base de nos traditions ducales et monacales, leurs châteaux s’affaissent mais ne se rendent pas, leurs ruelles inspirent le recueillement, elles sentent le bois de la forêt de Tronçais les jours de fort vent, elles sont immarcescibles comme un poème de Ronsard et un sonnet de du Bellay, elles sont nos ancres intérieures. Nos balises dans la nuit noire. Le pays d’Allen se trouve à deux cent cinquante kilomètres de l’église de la Madeleine. Avant que René Fallet braconne les rivières du Bourbonnais et en tire son délicieux folklore populiste, Larbaud se lance dans un road-movie champêtre avec quatre amis (l’Éditeur, le Bibliophile, le Poète et l’Amateur), ils partent en auto de Paris pour rejoindre cette étrange contrée, perdue dans les méandres de notre arbre généalogique. D’abord, avant d’entrer en communion avec cette province, il faut détourer l’écrivain, rappeler le rang qu’il tient dans la littérature française ; son incomparable onde nostalgique se propage à bas bruit, sans récitals et timbales, colloques et symposiums endimanchés, elle gagne le cœur des lecteurs à la chandelle, l’eau vive s’y coule, fluide, cristalline, parfois si pure qu’elle serre le cœur. Cette lumière-là, ce style-là, ce torrent-là vous touchent à jamais. Nous ne sommes désormais plus seuls. Larbaud sera un compagnon de voyage, l’un de ces guides qui ne fait pas la leçon, mais dont les mots encrent notre imaginaire.

Valery Larbaud (1881-1957) D.R.

L’exquis commerce de Valery Larbaud

Marcel Arland (1899–1986) dans sa préface du volume de la Pléiade paru en 1977 en croque le plus vif et intelligent des portraits. Il dit tout de cet homme de lettres : « Larbaud s’est préservé de l’éclat, au profit d’un discret et durable rayonnement. […] Car Larbaud peut se conter : il ne se confesse point. Nul cri, nulle parade. […] Il n’est point distant ; familier, pas davantage ; il est lui-même et l’est aussi pour nous, qui le suivons, nous promenons et nous entretenons avec lui, dans le plus exquis commerce, à travers les œuvres, les hommes, les civilisations et les paysages. C’est partout le pays d’Allen ». Cette échappée d’une douzaine de jours, ce dialogue entre Province et Capitale, est un roman d’apprentissage, il nous aide à mieux ressentir le souffle de notre pays, en saisir sa beauté fragile et sa puissance enfantine. Et puis, quelle langue, quel ondoiement, quand Larbaud évoque le bleu du pays d’Allen « encore plus beau » que le bleu de la céramique de Nevers, il ensorcelle : « Ce n’est pas un bleu minéral, de saphirs, de bouquets de cristaux, des pays du Midi ; mais la couleur pure, la traînée lente du pinceau chargé d’un outremer éblouissant sur la palette de porcelaine de l’horizon ».

Œuvres

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Fermina Márquez

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Monsieur Nostalgie

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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