Après la condamnation judiciaire du livreur algérien en situation irrégulière qui refusait de servir les juifs à Strasbourg, Valérie Boyer réagit. Elle a écrit un courrier au Premier ministre lui demandant d’aller plus loin. Les plateformes de livraison défient le droit du travail et emploient de nombreux clandestins, de façon cruelle et bien organisée. Entretien.
Causeur. Si vous vous êtes réjouie de la décision de justice prise à l’encontre du livreur Deliveroo qui avait refusé de livrer des clients de restaurants casher, vous adressez aujourd’hui un courrier à destination du Premier ministre. Avec Julien Aubert, vous lui demandez d’aller plus loin. Quel est le but de votre démarche ?
Valérie Boyer. Il est particulièrement choquant de savoir qu’une personne qui est en situation irrégulière, dans la mesure où elle justifie qu’elle a travaillé en France pendant cinq ans, peut demander sa régularisation. Je ne vise pas bien sûr les demandeurs d’asile qui ont un statut particulier. Comment peut-on accepter une chose pareille ? Comment notre droit peut-il faire en sorte qu’un clandestin soit régularisé après des années en situation irrégulière ? Comment un employeur peut-il les embaucher ? Comment un clandestin peut-il avoir un statut d’autoentrepreneur ?
D’après les journaux, le jeune Algérien de Strasbourg était en situation irrégulière. Pourtant, il travaillait pour Deliveroo ! Il a été condamné à quatre mois de prison ferme, il a 19 ans et serait arrivé en France il y a environ un an avec un visa de tourisme… Il fait désormais l’objet d’une obligation de quitter le territoire.
Il n’y a aucune raison que nous accueillions des Algériens en France en situation irrégulière, et qu’on les y laisse travailler de surcroît
Nul n’ignore ensuite – et c’est vrai aussi pour d’autres entreprises – que des gens qui ont leurs papiers louent leur licence et leur travail à d’autres qui n’en ont pas. Les plateformes ont beau dire qu’elles font des reconnaissances faciales à chaque fois, j’ai de sérieux doutes sur leur réelle volonté de limiter un travail clandestin.
L’emploi de sans-papiers, à bas prix, est une pratique qui serait extrêmement répandue, chez certaines plateformes de livraisons. Avec @JulienAubert84 nous demandons au 1er Ministre d’agir pour mettre fin à ce qui s’apparente à une forme d’esclavagisme pic.twitter.com/37AkSXBleI
— Valérie Boyer (@valerieboyer13) January 18, 2021
Votre courrier est une attaque virulente contre les sociétés de livraison. Vous dénoncez une forme d’esclavagisme moderne, et un encouragement à la traite d’êtres humains. S’il a travaillé, mineur ou pas, n’estimez-vous pas qu’un migrant devrait quand même pouvoir être régularisé un jour ? N’avez-vous pas de cœur ?
Ce n’est pas comme cela que je raisonne.
L’opinion peut se mobiliser avec des pétitions comme celle pour le jeune migrant boulanger de Besançon qui vient d’être régularisé, mais il faudrait qu’elle se mobilise aussi de la même façon quand elle voit une affaire comme celle de Strasbourg avec un livreur qui refuse de livrer les commandes de deux restaurants casher de la ville, ou comme celle du violeur travaillant pour Uber. J’avais d’ailleurs rencontré une victime. Je pense souvent à elle mais malheureusement j’attends encore les réponses d’Uber. On peut trouver le meilleur comme le pire.
Je vous répète que je me demande uniquement : comment une personne en situation irrégulière peut-elle travailler légalement ? C’est là la question.
Autrefois c’était les étudiants qui occupaient tous ces emplois de livreur. Aujourd’hui il semble que ce soit de moins en moins le cas, car selon la presse, bon nombre de livreurs seraient en situation irrégulière et acceptent de travailler dans des conditions qui ne sont pas conformes au droit du travail. Cela serait répandu chez Deliveroo, mais aussi chez Uber Eats, Frichti ou Glovo, pour ne citer qu’eux si on en croit la presse.
J’en reviens au livreur de Strasbourg. Son antisémitisme est probablement cet antisémitisme nouvelle génération qui gagne la France, et dont on parle de plus en plus. La France ne devrait-elle pas mettre en place des mesures spécifiques pour limiter cet afflux de migrants ou de mineurs isolés ?
Oui ! Bien sûr ! J’ai produit un rapport d’ailleurs sur ce sujet. Nous avons des accords avec les pays du Maghreb. Nous avons par exemple des accords spéciaux avec l’Algérie, et je ne comprends pas pourquoi ça n’avance pas. D’autant que les relations avec l’Algérie sont toujours difficiles. Je crains que le président comme le Premier ministre ne ravivent les plaies sur ces problèmes. Nous attendons mercredi le fameux rapport de Benjamin Stora sur la guerre d’Algérie et la colonisation. La repentance permanente à sens unique est indigne. Sauf erreur de ma part, les paroles de l’hymne algérien sur la France ne sont pas particulièrement amicales, et je doute que cela soit évoqué dans le rapport… Comment peut-on avoir des relations apaisées avec des gens qui nous injurient matin, midi et soir ? Il n’y a aucune raison que nous accueillions des Algériens en France en situation irrégulière et qu’on les y laisse travailler de surcroît.
Il y a bien sûr des jeunes Algériens qui n’ont pas de ressentiment, mais ce ne sont jamais ceux-là que l’on met en avant. Ces jeunes sont intégrés parfaitement et aiment notre pays.
Ne faites-vous jamais appel aux nouveaux services de livraison ? Beaucoup de Français trouvent cela fort pratique…
Je suis opposée à ce qu’on appelle l’uberisation de la société.
Je ne prends personnellement jamais de Uber et je ne fais pas appel aux services de ces entreprises de livraison. Je suis contre cette façon de voir les choses, et j’ai même recommandé à mes enfants de ne pas le faire non plus ! Quand vous vous retrouvez seul à la maison avec n’importe qui qui vient chez vous, ce n’est pas l’idéal pour la sécurité. Il en est de même pour les Uber par rapport à un taxi : je n’ai pas confiance. Et leurs conditions de travail ne me semblent pas dignes.
Je n’étais pas favorable à la déréglementation de la profession de taxi mise en place par Emmanuel Macron. Je ne vois pas pourquoi il y a Uber en France.
Croyez bien que nous partageons l’hypocrisie de ces entreprises que vous dénoncez : elles ne font effectivement peut-être pas le maximum. Mais je ne suis pas sûr que ni vous ni le gouvernement ne trouviez de solution pour remédier à l’immigration clandestine tout de suite ! Le couvre-feu est à 18 heures, depuis samedi. Les livraisons de repas sont autorisées au-delà. Faut-il les interdire ? Enfin, pensez-vous que nous nous dirigions vers un 3e confinement ?
De ce côté-là, ce n’est pas clair non plus. Mais au-delà de la question des livraisons, on voit bien que cette situation de couvre-feu ne ressemble à rien. Ce week-end, j’étais dans le XVe arrondissement et je n’ai jamais vu autant de monde dans la rue et dans les magasins. À 17 heures, il y avait énormément de monde, c’était hallucinant. Aujourd’hui tout le monde déplore la situation de nos étudiants. Je ne dis pas que c’est un horizon pour eux d’avoir des petits boulots, mais on leur a supprimé tous ces travaux dans les bars ou dans la livraison qui leur permettaient de continuer à financer leurs études pour les plus modestes.
Concernant un nouveau confinement, j’espère bien que cela n’arrivera pas ! J’aimerais qu’on prouve d’abord son utilité, en tout cas l’utilité du deuxième. La situation des jeunes est dramatique, je l’ai dit. Plus le temps passe, moins je comprends.
N’aurait-on pas pu profiter de cette malheureuse situation pour faire valoir l’exception culturelle française? Je ne comprends pas que les musées, cinémas ou théâtres soient fermés. À partir du moment où on ouvre les supermarchés… Enfin, on ne peut pas se permettre de sacrifier tous ces pans d’activité : certaines activités meurent définitivement à cause du confinement.
Nous voilà réduits au supermarché et à Netflix.
Ne détruisons pas cette exception culturelle qui fait la force de la France.
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