En littérature comme en habillement, les modes changent à chaque saison. En juillet et en août, le panama résistera-t-il à l’assaut du bob ? Les tongs concurrenceront-elles l’espadrille ? Brésil contre Pays basque, on refait le match, vingt après notre victoire en Coupe du monde. Et surtout, en finirons-nous avec l’hégémonique chaussettes-claquettes sur les parvis de France, signe d’une grave crise identitaire ? Dès le printemps, les magazines féminins ont dépêché leurs reporters-chasseurs pour cueillir les tendances balnéaires et répondre à toutes ces questions existentielles.
Les arbres, ces marronniers de l’été
Au rayon des livres, les éditeurs ont aussi cherché cette martingale avant d’attaquer une rentrée d’automne, toujours aussi encombrée et indécise. Du feel-good-book pour mères célibataires aux guides « minceur » pour cougars sur le retour, de la spiritualité en cinq leçons entre la Porte Maillot et le Rond-point des Champs-Elysées aux régimes miracles à base d’herbes macérées par un lama en rut, la nuit du solstice d’été, sous la convergence céleste du calendrier maya et inca, toutes les idées farfelues étaient les bienvenues pour sauver notre Culture nationale. Cette année, il semble que l’arbre a très tôt remporté la bataille idéologique. Comment rivaliser avec un saule pleureur, même le cinéma d’obédience lacrymale ne pouvait lutter ? Les suppléments littéraires y ont été de leur aggiornamento végétal. Un cerisier pleine page en ouverture d’un dossier, c’est la guigne pour de nombreux auteurs habitués à voir leurs bobines en gros plan. Le Grand remplacement était assurément en marche. Les critiques se sont ensuite enflammés sur un sujet tellement fédérateur, écolo-responsable et green-compatible par-dessus le marché bio. L’olivier, le cèdre et le sapin occupent donc la « une » des journaux et les habituels gourous du bien-être ont dû plier les gaules.
La plus belle voix de Radio Libertaire
Ce geste citoyen pour sauver la planète a réussi à nous débarrasser de tous ces marchands de sable. C’est donc l’esprit particulièrement irritable que j’ai reçu, au courrier, un livre s’intitulant Le premier arbre et autres récits qui cachent la forêt aux éditions du Cerf. Mon accès de nervosité a vite été calmé en lisant le nom de l’auteur : Valère-Marie Marchand. La journaliste-animatrice de l’émission Bibliomanie sur Radio Libertaire qui passe tous les jeudis. Certainement l’intervieweuse la plus perspicace, intelligente et curieuse de Paris. Tous les écrivains qui ont eu la chance de partager deux heures en sa compagnie dans le minuscule studio du Père-Lachaise en sortent ragaillardis. L’esprit lavé de toutes les scories d’un monde littéraire factice. Valère-Marie murmure aussi bien à l’oreille de ses invités qu’elle analyse la psyché des arbres. A priori, la végétation m’ennuie et je porte encore les traumatismes d’une éducation rigoriste dispensée par un père paysagiste virtuose et amoureux obstiné des plantes vivaces. J’en fais encore des cauchemars à bientôt quarante-cinq ans. Qu’est-ce qui a donc bien pu me plaire dans ce livre ?
S’amuser avec les légendes
L’érudition bien sûr, l’approfondissement des mythes fondateurs et des fables qui entourent la vie cachée des arbres, une plongée poétique dans les entrailles de la Terre, mais surtout un exercice de style d’une photosynthèse éclairante. Valère-Marie Marchand s’amuse avec les légendes, elle les fait même tourner en bourrique et trouve une voie buissonnière entre le naturel et le surnaturel, entre le vrai et le faux. On dévore ce livre car il est étrange et pénétrant. Il répond à des questions que nous ne nous étions jamais posées. Il est malin et taquin, il nous sort des couloirs d’une pensée rectiligne. Inattendu et féérique, il nous réveille par sa gourmandise, ses arborescences intérieures et son dessein fantasmagorique. Qu’elle évoque le premier arbre, l’Archaeopteris, le figuier stérile, le rameau d’or ou le pommier sauvage qui « en savait bien plus sur la soif ou le désir d’aimer qu’on ne l’aurait supposé » et si cher à Henry David Thoreau, Valère-Marie décloisonne avec brio les genres. Elle nous prévient dès le prologue par cette affirmation mystérieuse : « Sa verticalité silencieuse nous fait la courte échelle et nous offre un bien meilleur aperçu de nous-mêmes ». Si vous souhaitez acheter un seul livre pour vous élever l’âme, celui de Valère-Marie Marchand s’impose par ses qualités d’écriture et son humus vivant.
Le premier arbre et autres récits qui cachent la forêt, Valère-Marie Marchand, Editions du Cerf, 2018.
Le premier arbre et autres récits qui cachent la forêt
Price: 20,00 €
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